Cahin-Caha, au Creux de l’Enfer, l’esprit joueur d’Hélène Bertin

Par Marie Gayet7 avril 2021In Articles, 2021

 

Cahin-caha, ça sonne comme une comptine, un début de jeu d’enfant, « je te tiens, tu me tiens par la barbichette », Cahin-Caha, l’exposition d’Hélène Bertin, lauréate du prix Aware* 2019, actuellement présentée au Creux de l’Enfer chemine d’un espace à un autre avec un esprit (petit) bonhomme et anthropologique.

Dès l’accueil, l’artiste, qui aime travailler en collaboration, donne un préambule à l’exposition en proposant un mobilier réalisé avec Tristan Rique, ébéniste local auparavant paysan, où l’on voit des pieds en céramique aux pieds des tables en bois. Cet ajout anthropomorphique nous fait imaginer, allez savoir pourquoi, qu’Hélène Bertin, née en 1989 à Curcuron (Lubéron, elle y a son atelier) s’amuse à sauter dans les flaques à pieds joints. Splash ! Claude Ponti, le dessinateur d’albums pour enfants, à qui l’artiste rend ici hommage, trouve en elle une digne successeuse de son univers souvent absurde mais au chaos réjouissant !

Comme indiqué sur un plan dessiné par Marie-Luce Schaller au début de l’exposition, Cahin-Caha se divise en trois espaces, représentant chacun un âge de la vie. Le premier, Le jardin juvénile, est celui de l’enfance et du jeu. S’y alignent des bacs (en forme de barques) à sables aux dégradés d’ocre, de jaune et de gris rosé foncé, sur lesquels s’enfoncent de drôles de sculptures en terre. Destinées à être manipulées par les enfants, public auquel elle apporte une grande attention, ces étranges bestioles séduisent aussi les adultes qui succombent à la tentation de jouer avec. Arche de Noé improbable, dahus perdus dans le désert, l’expérience ludique s’avère abondamment sensorielle tant les sables sont subtils et le tracé des lignes et volutes contemplatif. Comme pour couronner le potentiel imaginaire de l’espace, au-dessus des barques, suspendus au plafond, des cerfs-volants de papier semblent mettre les voiles, « Hisse et oh » et souffler un appel au large !  De celui qui promet un ailleurs, des contrées encore inexplorées, exotiques…

C’est un peu la sensation donnée en découvrant à l’étage Le jardin des paniers, le deuxième espace de l’exposition. Image d’Epinal d’un village préhistorique ou des îles, tel qu’il pouvait être illustré dans un album de la collection « Tout l’univers », l’installation met en scène un décor avec toit de hutte du chef faite de joncs de céréales et un ensemble de pots en grès de tailles différentes. Nous sommes à l’âge adulte (celui qui régit l’état social, les échanges ?). Les céramiques à l’aspect brut viennent d’une résidence faite par Hélène Bertin à la Borne**, auprès du céramiste Jacques Laroussinie. La petite histoire raconte qu’à la demande de l’artiste pour savoir comment réussir la cuisson de ses pièces, en guise de réponse, le maître artisan lui aurait donné une patte de lapin… disant ainsi combien, malgré l’expérience et le savoir-faire traditionnel, la cuisson des céramiques relevait de forces incontrôlables et gardait une part d’insondable. Sans doute faut-il voir dans la présence suspendue d’une figurine pantin lapin – ou lapin pantin – un clin d’œil reconnaissant à la pensée superstitieuse.

Dans la grotte du centre d’art,  Le jardin des voix, troisième espace de l’exposition, présente une série de pièces blanches en forme de boyaux ou de tuyaux organiques, se balançant au bout de fils de crin de cheval reliés à un arc de bois traversant. Réalisées selon le principe des fontaines pétrifiantes (de St-Nectaire pour celles-ci), les sculptures ont été imprégnées pendant plusieurs mois de calcite qui leur donne cet aspect à la fois gonflé et glacé. Romain Bodart, le créateur des bandes-son des trois jardins, a collectionné pour celui-ci des chants de moines a capella. Dans l’antre de la grotte, ils entrent en résonance avec les phylactères blanchâtres, lesquels à leur tour jouent une partition volatile et vibratoire d’un autre temps. Une voix des cavernes ? Une mémoire disparue ?

En plus de son travail sculptural, la pratique artistique d’Hélène Bertin repose aussi sur la recherche et des projets d’édition***. Le chant de la Piboule, le livre qu’elle propose dans le Jardin juvénile s’adresse en premier lieu aux enfants. Il fait référence à La fête de l’arbre de Mai, à laquelle l’artiste participe depuis son enfance dans son village natal. Chaque année, depuis 1720, cette fête célèbre un peuplier porté en procession dans les rues, puis dressé au centre du village, coutume censée préserver la commune du mauvais sort. Imaginé comme un conte, Hélène Bertin fait parler le peuplier. Entre tradition populaire, données ethnologiques, folklore contemporain et désir de transmission, l’artiste réécrit une histoire au présent, revivifiée par ses visions personnelles et son expérience du terrain.

Après Cahin-Caha, sa prochaine exposition s’appellera Tohu-bohu, c’est dire si Hélène Bertin a de la suite dans les idées ! Et nous, envie de la suivre de-ci de-là !

*co-production avec AWARE : Archives of Women Artists Research and Exhibitions.

** La Borne est un hameau situé dans le Cher, lieu de création céramique, réputé pour ses fours au feu de bois.

*** Voir la belle bio-monographie sur l’artiste Valentine Schlegel, sculptrice et céramiste.


Infos

 Cahin-Caha, d’Hélène Bertin

Le Creux de l’Enfer, Centre d’art d’intérêt national,

Vallée des usines, 85 av. Joseph Claussat, Thiers

www.creuxdelenfer.fr

jusqu’au 30 avril 2021

Puis Tohu-Bohu au 19 CRAC, Montbéliard du 29 mai au 22 août.