Biennale de Lyon – Manifeste de la fragilité
Biennale de Lyon – Manifeste de la fragilité
Depuis plus de 30 ans, Lyon invite les passionnés d’art contemporain, professionnels et amateurs, à son rendez-vous automnal pour cet évènement qui reste unique en France. Avec cette 16e Biennale, intitulée Manifesto of fragility, les commissaires Sam Bardaouil et Till Fellrath, directeurs du Hamburger Bahnhof à Berlin, ont invité plus de 80 artistes de 40 pays à exprimer leur sensibilité au monde au sein de douze lieux dans la ville et au travers de trois chapitres distincts.
Dans un contexte actuel anxiogène dû à la crise sanitaire, aux changements climatiques et aux guerres, que peut proposer une nouvelle Biennale ? Depuis plus de 2 ans, les curateurs ont développé une recherche selon deux axes, géographique et temporel, puisque la fragilité pour eux est inhérente à notre planète et à l’humanité depuis la nuit des temps. Ils ont alors découvert un lien entre Lyon et Beyrouth avec notamment l’histoire de la soierie.
Le voyage commence au 3e étage du MAC Lyon, sous le titre Les nombreuses vies et morts de Louise Brunet, avec la figure emblématique de cette fileuse de soie lyonnaise ayant fui au Liban où elle intègre une usine de soie délocalisée, après avoir été emprisonnée à Lyon suite à sa participation à la révolte des Canuts de 1834. Cette fragilité personnelle se retrouve en creux dans d’autres histoires d’individus qui ont lutté au cours des siècles. La présentation très dense rassemble des œuvres couvrant deux millénaires, empruntées notamment au musée des Beaux-arts, des Confluences ou de Fourvière, en dialogue avec des pièces contemporaines présentant souffrances résistances ou résiliences à travers le prisme du corps, de la race, du genre et du travail. De cette référence à une micro-histoire, élargissons le champ de réflexion à la ville de Beyrouth et sa communauté d’artistes, penseurs et activistes dans l’effervescente période des années 60. Beyrouth et les Golden Sixties est un vaste panorama avec 34 artistes et des documents d’archive dans une scénographie volontairement « non finie » où les œuvres sont accrochées à des clôtures de chantier en bois. La dernière section au 1er étage, consacrée à la transmission des récits, à notre vulnérabilité mais aussi à la capacité de résilience et persévérance des artistes, s’ouvre sur deux propositions de Joana Hadjithomas et Khalil Joreige. La première installation vidéo circulaire montre les enregistrements des caméras de surveillance dans un musée détruit lors de l’explosion du 4 aout 2020. La deuxième rend compte de ce moment de bascule, avec la présentation des écrits évoquant le mythe d’Orphée et Eurydice, où la tête d’Orphée décapitée continue de chanter. Terminons ce parcours avec Simone Fattal et Huguette Caland et leurs toiles aux couleurs pastel où persistent toutefois des traces de leurs souffrances. Elles y expriment l’attachement à leur pays malgré un éloignement nécessaire.
Mais la Biennale s’inspire également de l’histoire de Lyon et investit des bâtiments emblématiques de la ville donnant ainsi l’opportunité aux artistes de dialoguer avec des architectures et collections variées. Depuis Beyrouth, elle s’ouvre sur le monde avec le chapitre Un monde d’une promesse infinie dans l’ancienne usine Fagor – Brandt qui accueille le principal site de la biennale, malheureusement pour la dernière fois. L’architecture particulière et l’immensité de l’endroit se prêtent aux propositions des artistes qui nous invitent à pénétrer dans des installations monumentales. Lucia Tallova nous rappelle combien nos souvenirs sont fragiles. Elle compose un paysage mental, au croisement de la mémoire privée et collective, dans une structure évoquant les montagnes de la Slovaquie, son pays d’origine. Pedro Gomez-Egana nous suggère de repenser les espaces domestiques de nos vies nouvellement imprégnées par la technologie. Lucy McRae envisage l’avenir de l’évolution humaine dans une vidéo futuriste où son avatar se déplace dans des chambres sensorielles. La doyenne Sylvie Selig, dont les œuvres irriguent différents lieux, a développé ici une huile sur toile mesurant 50 mètres de long, féérique et troublante, poétique et cruelle, retraçant l’histoire d’une jeune réfugiée que les autorités tentent de renvoyer. Avec un labyrinthe de miroirs où le visiteur est confronté aux images réelles ou fictives et à son propre reflet, Aurélie Pétrel tisse subtilement des liens entre Lyon et Beyrouth, suite à une enquête menée sur la vie d’une lyonnaise partie au Liban en 1958. Nicolas Daubanes a reconstitué la salle du tribunal des forces armées de Lyon où ont été condamnés les insoumis de la guerre d’Algérie.
Dans des halles bien distinctes, Daniel Otero Torres imagine un univers peuplé de personnages étrangement enlacés montrant les nouvelles stratégies de résistance en réponse à l’évocation du « Monumento A Los Heroes », lieu de protestations à Bogota. Hans Op de Beeck a imaginé un espace communautaire qui se serait vidé de toute présence humaine puis aurait été recouvert par la cendre suite à l’échec d’un rêve de vie partagée. Annika Kahrs interroge les codes liés à la musique. Dans une église abandonnée de la Croix-Rousse, elle a invité chanteurs et charpentiers à performer. Les chants des canuts sont en accord parfait avec les claquements des outils.
Dans le magnifique musée gallo-romain, situé à l’emplacement de la ville romaine Lugdunum sur la colline de Fourvière, de très beaux dialogues de plusieurs artistes s’instaurent avec les pièces antiques. Jean Claracqmélange les styles dans ses tableaux évoquant des affiches lacérées prenant pour référence les écrits du père de la propagande Edward Barneys. Toyin Ojid Odutola entremêle histoires fictives et réelles.
Le musée Guimet, abritant les collections d’histoire naturelle avant d’être fermé en 2007, accueille une vingtaine d’artistes. Clément Cogitore rend hommage au carnaval de Bâle. Nadine Labaki et Khaled Mouzaner témoignent de la brutalité de la guerre au Liban dans un film d’animation. Dans la pièce principale, Ugo Schiavi a construit une « archéologie du futur », vision d’un monde post-numérique où la végétation recouvre les traces de notre civilisation dans des vitrines imaginées par l’artiste. Tarik Kiswanson propose une forme de régénération de la condition humaine, avec des chrysalides en lévitation d’un blanc immaculé. Les représentations féminines langoureuses de Lucile Boiron ont envahi les armoires vitrées tout en débordant des cadres impartis.
La Biennale s’étend sur toute la métropole avec plusieurs projets dont Veduta qui propose des interventions d’artistes en lien avec les habitants, Jeune Création Internationale à l’IAC de Villeurbanne, l’URDLA, le couvent de la Tourette et son artiste invité Giuseppe Penone.
Ce manifeste écrit à plusieurs voix nous invite à méditer sur la vulnérabilité de l’être vivant et à la précarité de notre planète afin de tendre vers une résilience collective.
INFOS :
16e Biennale d’art contemporain de Lyon
Manifesto of fragility
Jusqu’au 31 décembre 2022