Biennale de Lyon : Entre-temps…Brusquement, Et ensuite

 

La 12e Biennale de Lyon, historiquement une biennale d’auteur initiée par Thierry Raspail directeur du Musée d’art contemporain, est devenue un passage obligé de tout passionné d’art contemporain, et ce malgré les 150 biennales que l’on peut recenser à travers le monde.

Depuis 1991, Thierry Raspail invite des commissaires à travailler autour d’un mot, impliquant une réflexion sur l’art et sur le monde. H. Szeemann, JH. Martin, N. Bourriaud et J. Sans, H.U. Obrist, H. Hanru et V.  Noorthoorn se sont succédés pour travailler autour de l’Histoire, le Global, la Temporalité, la Transmission.

Cette année, le commissaire islandais Gunnar B. Kvaran a été invité à réfléchir autour du  mot-clef Transmission auquel il a répondu par le terme Récit visuel. Il rassemble 77 artistes qui travaillent dans le champ narratif et expérimentent les modalités et les mécanismes du récit au travers de médiums variés. Dans les choix des artistes proposés, il est possible de discerner trois catégories: les artistes référents ou révélateurs de la narration que sont Erro, Yoko Ono, Robbe-Grillet, les artistes pionniers de nouvelles formes visuelles comme Matthew Barney, Tom Sachs ou Paul Chan et enfin la nouvelle génération d’artistes qui proposent des expérimentations narratives avec pour nombre d’entre eux une influence notoire des réseaux sociaux et d’internet.

L’exposition principale se déroule dans cinq lieux : l’ancienne usine de la Sucrière dans le quartier des Docks à la confluence de la Saône et du Rhône, le musée d’art contemporain (MAC) en bordure du Parc de la Tête d’Or, la Fondation Bullukian place Bellecour, et pour la première fois deux nouveaux lieux, l’église Saint-Just et une ancienne Chaufferie d’hôpital, dans le quartier Antiquaille. Autour de cette exposition deux autres plateformes prennent leur essor : « Veduta », sorte de laboratoire d’expérimentation développé dans six communes avec les amateurs pour héros et « Résonnance », coup de projecteur sur la création en Rhône-Alpes avec plus de 200 évènements dont les incontournables Rendez-vous de l’Institut d’Art Contemporain, et la superbe exposition d’Anne et Patrick Poirier dans le Couvent de la Tourette, édifice conçu par Le Corbusier.

Dans cette profusion d’histoires présentées à la Sucrière et au MAC, chaque artiste développe sa propre narration et ce au travers de peintures, sculptures, dessins, installations, vidéos… Il ne s’agit donc pas d’une exposition thématique collective mais plutôt d’une juxtaposition d’œuvres et d’univers distincts dont voici quelques exemples. Le jeune artiste brésilien Thiago Martins de Melo peint des rêves très narratifs dans une profusion de couleurs et une superposition de mémoires et de références culturelles. Alors que son compatriote Paulo Nazareth présente une installation retraçant l’itinéraire de l’esclavage de Johannesburg à Lyon. Artiste messager comme le béninois Adéagbo, il juxtapose très méticuleusement à même le sol des vidéos et des éléments rapportés de son périple, des écrits, et c’est l’ordre de disposition qui crée un effet esthétique à but narratif. L’artiste anglais Ed Atkins parle de dépression- au sens psychique et physique du terme- au travers d’une vidéo dont la sublime qualité de l’image intensifie les sujets filmés. Le jeune français Antoine Catala maitrise parfaitement la technicité des médias numériques dans des vidéos-sculptures et interroge notre rapport à l’image comme dans cette évocation d’une île merveilleuse et néanmoins fugitive.

Le dessin est magnifiquement exploité par l’artiste américain Karl Haendel pour aborder les notions d’envie, de fascination et de violence dans un assemblage pertinent d’images qui composent les récits. Le dessin est aussi le medium de prédilection de l’artiste français Alexandre Singh. Il réalise le portrait du cinéaste Michel Gondry à l’aide  d’une constellation d’images fixées au mur et reliées entre elles par des traits selon un protocole strict. A chacun de construire un récit.

L’artiste Meleko Mokgosi du Botswana raconte des histoires politiques où se superposent temps et espace, dans une peinture figurative présentée sous forme de panorama semi circulaire. L’artiste islandaise Gabriela Fridriksdottir crée un environnement crépusculaire mélancolique d’une grande poésie à l’aide d’une sculpture ensablée face à une vidéo montrant une fiction inspirée de folklore et de mythologies nordiques.

Bien d’autres histoires restent à découvrir et notamment l’univers spectaculaire de Mathew Barney qui nous raconte une histoire d’amour, Neil Beloufa qui propose une expérience fragmentée de la vision et de la mémoire dans des environnements modulaires, ou encore les superbes projections de Paul Chan, véritables fenêtres ouvertes sur un monde d’apocalypse…

La Biennale se poursuit avec le programme « Résonnance » et l’exposition Rendez-vous à l’IAC. Conçue par dix commissaires de biennales, elle présente les œuvres de vingt artistes des cinq continents. De ce parcours au sein de la jeune création, on retient la vitalité et la fraicheur des propositions et la diversité des supports utilisés (pour exemple l’œuvre de Nicolas Momein, présentée dans l’article qui lui est consacré). Sophie Bonnet-Pourpret  a reçu le Prix Jeune Création pour ses objets d’une grande délicatesse et poésie inspirés de l’univers esthétique des années 20.

Enfin, je vous invite vivement à prendre le temps de parcourir les quelques kilomètres qui vous amèneront jusqu’au Couvent de la Tourette près d’Eveux, lieu ouvert à la création artistique depuis 2009. Chaque année, les œuvres d’artistes importants de notre époque « habitent » cette merveilleuse architecture de Le Corbusier. Après François Morellet, Vera Molnar, Alan Charlton, Eric Michel c’est au tour d’Anne et Patrick Poirier d’investir l’espace avec des œuvres d’une grande poésie en dialogue permanent avec le lieu. Après s’être imprégnés des espaces, de la matière des murs et de la lumière, ils présentent herbiers, photographies, maquettes et installations au travers d’une évocation de la ruine, du savoir universel et de ce qu’il en restera. Ce voyage dans la mémoire, entre lieux réels et paysages oniriques, nous incite à regarder différemment cette architecture si pensée et si présente.

La promenade pourrait encore se poursuivre ailleurs et longtemps.

Ce sont autant d’histoires que les visiteurs pourront s’approprier pour en inventer une à leur tour, « puisque de toute façon le monde est fait d’histoires…» comme nous l’indique le commissaire.

 


Infos :

Jusqu’au 5 janvier 2014

Week-end dédié à la performance les19 et 20 octobre

Week-end dédié à la vidéo les 30 novembre et 1er décembre