BERLIN GALLERY WEEKEND 2019

3 jours d’immersion dans la capitale européenne de l’art contemporain.

En cette fin avril 2019, nous choisissons l’option du Weekend des galeries à Berlin à cette date concomitante d’Art Brussels et du salon Arte-Monte Carlo.

Avec cette chance d’arpenter la capitale européenne instituée de l’art contemporain sous un beau soleil de printemps, le long de ces longues avenues arborées en compagnie de nos amis Helena et Otto qui, pour l’occasion, nous offraient l’hospitalité dans cet accueillant quartier de Süd Mitte.

Le « Gallery Weekend de Berlin » c’est trois jours complets durant lesquels 45 galeries ouvrent sans discontinuité leurs portes au monde de l’art et aux collectionneurs avec l’attention toute particulière qu’on peut en attendre pour un tel événement : expositions exceptionnelles dans les musées alentour, vernissages, cocktails et soirées conviviales, sans oublier le grand dîner des galeries qui change de lieu  à chaque édition et qui cette année rassemblait pas moins de 1400 invités assis placés sous la verrière du hall de l’ancienne gare Ostbahnhof.

C’est dans cet esprit que nous avons commencé notre parcours par l’exposition rétrospective sur David Wojnarowicz au musée KW. Artiste new yorkais poète, photographe, vidéaste, redécouvert récemment, mort du sida en 88 à 38 ans, figure de la lutte pour la cause homosexuelle dans les années 80 au moment des premiers ravages du sida dans les communautés artistiques de Soho et de Lower East Side. Emotion intense donnée par toutes ces pièces témoignant des temps du fondement du mouvement gay dans ses moments les plus beaux et les plus tragiques à la fois. En espérant que cette exposition initiée au Whitney à New York arrive un jour à Paris.

Avant d’entamer le parcours des galeries, nous sommes allés visiter le studio d’Helena situé à Hocheshönhausen dans les studios ID. Légers frissons en arrivant, il s’agit d’une ancienne usine de matériel d’espionnage de l’ex-RDA, construite en 1985 et reconvertie depuis en 270 studios d’artistes loués à des prix défiant toute concurrence. Un signe de l’attractivité toujours actuelle de Berlin pour les artistes. En face, la Gedenstätte, l’ancienne prison de la Stasi où jusqu’en 1989, il n’y a pas si longtemps, les bons agents de la dictature communiste interrogeaient, torturaient et internaient encore tous citoyens jugés hors ligne. On garde tous en tête le film ” la Vie des Autres”. Brève visite mémorielle des bureaux et salles d’interrogatoire. A conseiller à ceux qui rêvent encore des dictatures heureuses.

En fait, le cadre de ce 15ème weekend se veut largement ouvert par sa directrice Maike Cruse qui propose un plan de visite réparti en 4 zones géographiques : Mitte Nord, Charlottenburg, Schöneberg, et Mitte Süd Kreuzberg.

Mitte Nord, le hot spot des années 2000 après la chute du Mur, est devenu le coeur artistique vibrant de Berlin, pôle historique très animé avec ses hôtels typiques et restaurants branchés, proches des lieux d’art, du KW, de la Hamburger Bahnhof et de l’île des Musées. La galerie BQ y vernissait avec Raphaela Vogel, découverte en France l’année dernière lors de Paris Internationale et plus récemment à la fondation Cartier comme l’une des “ Jeunes artistes d’Europe”.  Sculptrice, vidéaste, elle associe, en une désarmante intimité, les matériaux artistiques les plus disparates – heavy metal, high-tech, peau d’animal, cabinet de toilette portable, musique classique et narguilé. A suivre.

Nous retrouvions ensuite chez Dittrich&Schlechtriem, Julian Charrière qui, avec son exposition “Silent World”, nous entraînait dans une nouvelle expérience de corps immergés plongeant dans les fonds marins comme s’ils étaient à la recherche de l’infini, comme en quête de leurs lointaines origines. Il tire ici, en de magnifiques tirages couleurs, des plongeurs nus en route vers les profondeurs.

Puis nous avons profité du grand soleil pour boire un verre dans les jardins de Sprüth Magers avant d’écouter Peter Fischli de Fischli & Weiss présenter la grande maquette à échelle 1/5 d’un bâtiment moderniste conçu au moment même où les idées utopiques-positivistes dérivaient vers le pragmatisme, ceci non sans en évoquer une certaine mélancolie.

De retour vers Schöneberg, où nous rendions visite aux galeries situées le long de la Potsdamer Strasse : Plan B où l’artiste roumain feu Horia Damian proposait un beau registre de sculptures, dessins et toiles sur sa thématique d’architecture minimaliste de pyramides très inspirées de Brancusi.

Esther Schipper, quant à elle, présentait de nouvelles pièces et notamment une nouvelle souris animatronic de Ryan Gander, présent pour l’occasion.  Il y avait aussi dans le même bâtiment, une énorme exposition de Bernar Venet “Effondrement” chez Blain/Southern en liaison avec Ceysson-Bénétière.

Puis quelques pas au-delà, nous nous étonnions chez Isabella Bortolozzi d’une extravagante proposition “Nutrition and Drama” de Veit Laurent Kurtz nous plongeant dans une biosphère artificielle, en l’occurrence un paysage de ruines pompéiennes réalisées à partir de plaques de polystyrène sculptées et peintes où une unité industrielle opérée par Dillapps produit un jus d’herbe artificiel et fictif l’Herba-4.

La dernière visite de cette belle journée se terminait dans une galerie historique de la scène berlinoise que nous connaissons bien, Barbara Wien. Elle profitait du Gallery WE pour nous faire découvrir sa dernière trouvaille, un artiste coréen de 73 ans, Kim Yong-Ik récemment rencontré à HongKong et pour lequel elle a eu un véritable coup de foudre. L’exposition, véritable rétrospective sur 40 ans, comprenait une vingtaine de pièces dont une oeuvre historique de 78, et s’intitulait “This is not the answer” pour la quête incessante de l’artiste dans son infinie recherche.

Depuis 1990, celui-ci développe une série basée sur les pois (polka dots) appelée “closer and closer” il peint ces pois en noir et blanc de façon quasi ordonnée sur une grille précise où des imprécisions apparaissent tandis que l’arrière-plan est entaché de salissures diverses comme celles de produits du quotidien tels que les jus de fruits ou autres, parfois liés à des annotations.

Comme la journée précédente, nous commencions notre deuxième journée par la visite d’une grande collection privée de la ville, ouverte pour l’occasion au public, la collection Boros. Situé dans le Berlin Bunker, cet abri de 5 étages construit en 42 par Hitler servit de boîte de nuit dans les années 90 avant d’être racheté par Christian Boros pour en faire un lieu d’exposition et d’habitation. Pour cette 4ème édition, la collection rassemble les séries de pièces des derniers artistes acquis, notamment de la zurichoise Pamela Rosenkranz, du norwegian Inge Hohlen, de feu Michel Majerus, de l’estonienne Katja Novitskova, du chinois He Xiang-yu, de Justin Matherly etc.… ceci présenté en bonne résonance avec les espaces cubiques et brutalistes du Bunker par un service de jeunes médiateurs-médiatrices au profil punk, proactifs et disponibles. Un délice ! Une collection qui donne l’impression d’être à l’affût de l’art en cours et sans arrogance nationaliste mais disons orientée sur la scène berlinoise, d’artistes récemment reconnus, vivant, exposant et travaillant à Berlin. Une sensibilité berlinoise. Je ne vois pas d’équivalent en France.

Reste pour le « Gallery WE », les quartiers de Mitte Süd Kreuzberg et de Charlottenburg,

Nous comptions voir KOW dans ses nouveaux locaux repris à Gregor Podnar et qui proposait une belle exposition dialogue entre Franz Erhard Walther avec Clegg & Guttmann. Mais aussi pour discuter de la présentation de leur artiste Michael E.Smith, à Venise prochainement.

Puis aller à la fameuse galerie König qui, à l’instar de son nom même, de celui de son fondateur, est une icône locale. Excentrée dans une zone résidentielle triste, c’est dans l’immense espace d’une chapelle protestante, St Agnes, sur deux niveaux que la galerie se déploie. Nous n’irons pas dans le deuxième espace de Dessauser Strasse où s’exposait Jeppe Hein par manque de temps.  Le peintre figuratif allemand Matthias Weischer présentait ses grands canevas d’objets et d’espaces du quotidien dans la grande nef tandis que Camille Henrot offrait dans le studio sa dernière vidéo (incluant des gros plans de purs sangs) en cohérence avec sa dernière exposition au Palais de Tokyo. Un espace réservé aux collectionneurs, pas à tous les visiteurs, donnait aussi l’occasion d’apprécier quelques-unes des pièces des artistes stars de la galerie comme Alicja Kwade, Tatiana Trouvé, Anselm Railay,

L’avantage d’un hôtel à Mitte, c’est que l’on peut commencer par un brunch dans un bon café avec les amis et parler de Berlin, de New York, de cinéma par exemple de Wim Wenders, de Jim Jarmusch et de ses premiers films “Stranger than paradise” et “Down by law” et les raccrocher à l’exposition de David Wojnarowicz, puis de celle sur Basquiat (Fondation Louis Vuitton Paris), tout cela se passait au même moment à New-York.

Bref, il nous restait pour finir notre tour de galeries, à nous rendre à Charlottenburg, cet ancien quartier résidentiel de Berlin Ouest qui rassemble les activités traditionnelles de second marché ou de vente aux enchères, mais qui, depuis peu, redevient à la mode, et où nombre de galeries actives berlinoises, tels Mehdi Chouakri ou Gregor Podnar se relocalisent. Ce dernier, qui vient de céder son ancien espace à KOW, était très heureux d’avoir réussi à inaugurer pour le gallery weekend. C’est effectivement avec des murs sentant encore un peu la peinture que nous sommes tombés en admiration pour les toiles d’Anne Neukamp, artiste allemande francophile, basée à Berlin. Ce sont des grands formats composés de motifs formels simples, voire parfois ambigus, qui peuvent se répéter. Issus des médias, ils interrogent le regardeur sur leur réalité même.

Dans la foulée, nous n’avons pas raté chez Bucholz les derniers jours du solo show de Michael Krebber, peintre conceptuel, plus excessivement sobre que minimaliste, grand gourou de l’école de Cologne, que l’on voit actuellement essaimer dans les foires. Nous avons aussi aimé les dernières productions “ Depression-Elevation” du roumain Daniel Knorr chez Meyer Riegger : des moulages pigmentés transparents de dalles historiques rétro-éclairés. Nous avions repéré Daniel Knorr lors de la dernière Documenta à Athènes mais surtout à Cassel avec son panache de vapeur blanche “ Mouvement d’expiration” sortant des tours du Fridericianum.

Notre promenade dans Charlottenburg, s’est terminée avec les photographies de Saul Leiter chez Kicken Berlin et les “ Desire paintings” de David Renggli chez Wentrup.

Recommandons en guise de conclusion d’aller à Berlin durant la bonne saison. C’est une ville verte, circulante, hightech et arty, moins chère que Paris (par exemple la liaison ferroviaire avec l’aéroport est à 3,70€). Mitte est un quartier central animé et charmant pour y séjourner. Et comme j’ai essayé de le démontrer, il y a profusion d’énergie artistique en tout genre. Les transports sont omniprésents et efficaces : taxi, métro, vélo (sans trottinettes bordéliques). A retrouver à l’occasion de la 7e édition de Berlin Art week avec les salons Art Berlin 2019 et Positions berlin artfair du 11 au 15 Septembre.

Par Pierre-Antoine Baubion


Infos :

FRIDAY, APRIL 26, 2019
6 – 9 PM
SATURDAY AND SUNDAY,
APRIL 27 AND APRIL 28, 2019
11 AM – 7 PM