Au-delà, rituels pour un nouveau monde

 

L’exposition proposée par la Fondation Lafayette Anticipations fait le pari de transporter le visiteur dans un outre-monde en proposant un parcours initiatique à travers une quarantaine d’œuvres d’artistes contemporains dialoguant avec quelques pièces historiques. En creux, se dessine une volonté de questionner la place de rituels ancestraux et modernes, religieux ou païens pour reconnecter l’humain avec les cycles du vivant, la naissance, la mort, le renouveau.

 

Le récit fictionnel construit par la commissaire invitée Agnes Gryczkowska, artiste et musicienne, évoque un monde moderne imprégné par les mystères anciens, empreint d’une nouvelle magie. Ce voyage se veut aussi source d’éveil « puisqu’il tente de nous attirer au-delà, plus profondément en nous-même et, en perçant le voile meurtri du monde, de toucher le sacré, ne serait-ce qu’un instant ». L’expérience multisensorielle propice à la méditation permettra-t ’elle de retrouver « la magie de la Terre, la force du Cosmos » ? La composition musicale atmosphérique de Kali Malone conçue pour l’exposition nous y invite déjà.

Le cri

Au commencement était le cri. La sculpture Limb totem, figure totémique de Michèle Lamy, rappelle les cris de douleur de La Guerre d’Otto Dix et de Guernica inscrits dans le corps d’une femme. Celle qu’on décrit comme une prêtresse gothique, muse du créateur Rick Owens, a moulé son propre corps pour réaliser cette pièce, qui résonne comme une exhortation dans une main tendue adressée au ciel. La sculpture a des allures de mémorial mais surtout de totem visant à conjurer le sort d’une planète menacée.

L’oracle de la terre

Beltane oracle, nouvelle installation de Bianca Bondi, ouvre l’exposition. Dans un désert de sel immaculé,fleurissent des vasques d’eau et s’élèvent d’immenses tiges de bois brûlé surmontées de cristaux de quartz. Le sel, comme le quartz, renvoie à la purification. Il se dissout dans l’eau et recristallise, illustrant le processus alchimique de la décomposition, purification puis renaissance. Autour de l’installation, les vidéos Silueta Series d’Anna Mendieta, tout comme la figure tutélaire d’une prêtresse vaudou dans les champs de canne sur la toile de Wifredo Lam et le manuscrit d’Hildegard von Bingen, abbesse du XIIème siècle, musicienne, philosophe et guérisseuse, résonnent comme des échos protecteurs du rituel en une harmonie profonde.

Faisant écho à des idoles cycladiques, la tapisserie de Tau Lewis, artiste canadienne originaire de la Jamaïque, évoque une fécondité spirituelle et le pouvoir de transformation de la foi.  Entourée de motifs africains Adinkra à signification philosophique, la silhouette représente « un corps céleste » nimbé dans un cercle. La pièce dialogue avec une toile énigmatique de TARWUK, duo d’artistes croates, chargée de symboles occultes dans une géométrie sacrée venant de l’avant-garde russe.

La fécondité est aussi une histoire de reines. L’installation monumentale de Jeanne Vicerial, figurant une gisante entourée de ses gardiennes le rappelle. Redonnant vie aux reines de la Basilique de Saint- Denis en attente d’une renaissance sur les tombes royales, l’artiste réalise des vêtements-sculptures noirs qui évoquent autant une tenue liturgique que les armures de samouraï. Ces pièces tissées à la main, lourdes et souples à la fois, épousent la forme théorique d’un pouvoir féminin sacralisé retrouvé.

Cycles et renaissance

La deuxième partie de l’exposition illustre le caractère cyclique de toute existence, de la naissance à la mort. L’artiste serbe Ivana Basic propose une sculpture étrange, un utérus de pierre enchâssé dans une forme métallique reproduisant exactement les rayons autour du calice des processions du Saint Sacrement. L’œuvre semble un objet de sorcellerie, chargé de la violence de l’orage, le métal canalisant la foudre. Une impression tout autre se dégage de la sculpture d’Eva Hesse, conçue pendant un séjour à l’hôpital juste avant sa mort, figurant symboliquement des jambes désincarnées et reconstituant les colonnes d’un temple. D’apparence charnelle et fragile, celle-ci nous renvoie à une image spirituelle d’une mort apprivoisée. A l’opposé, Tobias Spichtig, inspiré par les danses macabres du Moyen Age, évoque d’inquiétantes présences à travers ses sculptures désincarnées de la grande faucheuse et ses toiles habitées de feux follets qui hantent les cimetières.

La métamorphose

En dernière étape, la métamorphose tente d’approcher le divin et le sublime. Songs for living, la vidéo de Korakrit Arunanondchai et Alex Gvojic imitant les œuvres de science-fiction et évoquant la relation avec les âmes d’ancêtres et des célébrations collectives peut provoquer un certain malaise chez le spectateur.

L’on accède enfin, presque en lévitation, à la contemplation des deux toiles d’Alicia Adamerovich, Rising from earth et Petrified tenderness, qui révèlent les tensions entre puissance et fragilité. Sur une planète nue, des formes molles évoquant celles de Dali, s’échappent du sol en volutes dans une vision psychédélique, explorant mille nuances de gris. La toile, dans la lignée du surréalisme, laisse affleurer des traces d’inconscient tout en faisant référence à la transcendance. Nul désordre, cependant, dans la composition qui équilibre les volumes, invitant à considérer la fluidité comme une nouvelle manière de penser. Il n’y a plus d’opposition entre animus et anima ; dans une lecture jungienne des archétypes, les forces s’équilibrent.

L’exposition se clôt sur cette vibration, une symphonie du nouveau monde, plus ancrée dans une résonance intérieure. Elle laisse un goût de cendres, de minéral et de nuit étoilée. Pour sortir du chaos, faut-il renouer avec la célébration collective avant de redevenir poussière ? Sortirons-nous transformés, purifiés par ce rituel de l’exposition ?

On a envie, comme Goethe, juste avant de mourir de crier « Mehr Licht ! (Plus de lumière !) ».


 

Infos pratiques :

Au-delà, rituels pour un nouveau monde

Jusqu’ au 7 mai 2023

Lafayette Anticipations – Fondation d’entreprise Galeries Lafayette

9 rue du Plâtre, Paris 4e