Artaïs s’infiltre à Londres 2.0Mohamed Bourouissa prend racine au Goldsmiths CCA
« I forgot my name, I forgot my name, I forgot my name,
but I remember my roots » – Nardean
[J’ai oublié mon nom, j’ai oublié mon nom, j’ai oublié mon nom, mais je me souviens de mes racines]
A défaut de photographies, c’est une forêt dessoudée qui nous accueille dès l’entrée de l’exposition de Mohamed Bourouissa au Goldsmiths CCA – centre d’art contemporain de l’université londonienne.
Depuis des pots en acier, une plantation d’arbrisseaux nous invite à écouter un concert narré aux multiples voix et tonalités. Si certains sons envoûtant l’espace appartiennent aux fréquences des plantes retranscrites par des capteurs élaborés par l’artiste en collaboration avec Jordan Quiqueret, des interludes de raps et poèmes en habillent tout autant l’atmosphère. Les artistes MC Kronic et Nardean offrent en paroles une interprétation du récit de ces acacias fleuris, victimes de leur extraction et transplantation à travers les continents. Dans cette première installation, œuvre récente précédemment exposée à la Biennale de Sydney et à la galerie Kamel Mennour à Paris, Bourouissa investit en effet l’histoire de l’exportation du mimosa depuis l’Australie, vers la France, l’Angleterre ou l’Algérie. Ode aux origines, à l’adaptation et à la résilience, Brutal Family Roots (2020) tisse un parallèle entre musique hip-hop et végétaux, dont s’entremêlent alors les passés coloniaux. Jusqu’où donc plongent nos racines ? Et comment les laisser librement s’épanouir ?
Du sous-sol aux terrasses perchées, cette analogie semble infiltrer l’ensemble de l’espace d’exposition du CCA. L’architecture complexe du centre devient un véritable terrain de jeu pour Bourouissa : à travers un commissariat simple, chaque salle, recoin, couloir ou pan de mur carrelé, est néanmoins intégré au circuit et dévoile alternativement les photographies, films et installation sonores de l’artiste franco-algérien, dans cette première exposition personnelle au Royaume-Uni. Ainsi, les branches d’acacias suggérant notre ascension vers l’étage supérieur, c’est au gré de la série photographique bien connue, Nous Sommes Halles (2003-2005), que nous progressons. Les portraits grand format, disséminés au long de la visite, appartiennent aux premiers travaux de l’artiste opérant cette confrontation aux clichés des banlieues parisiennes. En Lacoste de la tête aux pieds, les jeunes photographiés arborent nonchalance et fierté dans cette enquête immortalisant une époque et une génération – à l’instar des photographies de l’américain Jamel Chamazz ayant inspiré cette série. Mais d’avantage encore c’est le détournement des codes – culturels et de mode –, l’appartenance à une communauté et la solidarité d’un groupe, que l’artiste cherche systématiquement à révéler. Comment une image peut-elle souligner cette frontière intime entre apparences et liens internes, telles cimes et racines ?
Croisements de regard et gestuelles semi-posées, semi-spontanées, s’entremêlent et nouent une tension sociale sous-jacente dans la série emblématique Périphéries (2005-2008) que nous retrouvons dans une salle dédiée. Offrant une relecture de l’histoire de l’art, les tableaux reconnaissables de Delacroix à Géricault sont plantés dans le contexte des émeutes des banlieues de ces années. Rassemblements et instants de confrontation sont mis en scène dans divers environnements urbains : deux boxeurs se détachent d’un fond vert anis, tandis que l’on distingue les reflets d’un groupe dans une flaque d’eau sur le toit d’un immeuble, ou la silhouette d’un squelette encapuchonné se tenant au centre d’un cercle enflammé. Ainsi, évoluant entre ambiances réalistes ou fantastiques, chaque poseur – souvent proche de Bourouissa – incarne un stéréotype visant à, comme l’explique l’artiste, questionner le spectateur vis-à-vis d’images quotidiennement circulées. L’impact d’infiltrer cet autre regard sur Paris dans l’espace institutionnel en est ici d’autant plus ravivé qu’il s’établit en conversation avec Londres. Ville au modèle communautariste, les problématiques d’intégration et de subculture y sont parallèles – bien qu’adressées depuis bien plus tôt à travers le courant des « Cultural Studies. »
Cette investigation de la frange dans le travail de Bourouissa se déploie jusqu’aux États-Unis, où à Philadelphie il s’immerge dans le monde des cowboys noirs urbains de la Fletcher Street. Nous redécouvrons Horse Day (2015), ce film sur deux écrans accompagnés d’un éclairage rouge électrique comme toile de fond, au son des tambours et musiques entraînantes du tournoi organisé en collaboration entre artiste et cavaliers. Entre costumes et montures paradant, l’effervescence de l’évènement dévoile non seulement l’éclosion d’expressivité de chacun des participants, mais dénote également l’implication de l’artiste au-delà de la caméra.
Un chant semblant poursuivre les festivités nous attire au-delà des murs de la galerie. D’une terrasse murée d’un acier sombre, à l’aspect goudronneux, résonne HARA!!!!!hAAARAAAAA!!!!!hHARAAA!!! (2020). L’œuvre sonore réalisée à l’occasion de Manifesta 13 déforme et abstrait les mots ‘hara’ et ‘aouin’, cris servant de sirènes prévenant les dealers marseillais de l’arrivée des policiers. Écho du crime par-delà les cimes vertes que l’on aperçoit depuis l’encastrement architectural, c’est néanmoins au sous-sol qu’il se rend audible. La dernière section de l’exposition regroupe certaines des œuvres de Bourouissa les plus sensibles, thématiquement et émotionnellement. Dans la vidéo, Nasser (2019), c’est l’oncle de l’artiste qui déchiffre avec peine une lettre de justice le condamnant pour vol. Plus loin, Temps Mort (2009), l’histoire d’une amitié développée par sms depuis une prison, démystifie la frontière entre liberté et incarcération. Les polaroids de Shoplifters (2014), voleurs à la sauvette de New York contraints de poser ‘prise’ en main pour éviter la délation, témoigne avec violence des inégalités sociales, de la misère, du désespoir. Pour Bourouissa, le tronc de sa pratique artistique est de rendre les paroles des autres accessibles et visibles.
Directe et sans détour, l’exposition, habitant pleinement l’espace du CCA, s’ancre géographiquement dans la ville de manière sensible et pertinente. Le quartier de New Cross, à l’importante communauté afro-caribéenne et avec une longue histoire d’immigration, évolue entre pauvreté et gentrification. Le dialogue avec le langage de Mohamed Bourouissa y serait-il donc propice à bourgeonner ?
Informations pratiques :
Mohamed Bourouissa: HARA!!!!!hAAARAAAAA!!!!!hHARAAA!!!
Du 21 Mai au 1er Août 2021
Programmation en ligne les 10 Juin, 17 Juin, 22-27 Juin, et 15 Juillet (à retrouver sur le site)
Goldsmiths Centre for Contemporary Art (CCA)
St James’, New Cross, Londres