ARNAUD ADAMI - Ultra moderne précarisation

 

Véritable révélation à Art Paris (focus Hervé Mikaeloff) alors qu’il est encore étudiant aux Beaux-Arts de Paris, Arnaud Adami n’était pas au départ destiné à une carrière artistique. Après un bac technologique, qu’il finance par un emploi dans une usine de colis postal, il décide de tenter une classe préparatoire à Châteauroux, un pari qui s’avère décisif. Puis il intègre successivement les écoles des Beaux-Arts de Bourges et de Paris dans l’atelier de Nina Childress. Je lui rends visite à l’incubateur Poush qu’il rejoint avec l’artiste Dhewadi Hadjab, rencontré aux Beaux-Arts de Bourges.

 

Il n’est pas livreur lui-même alors que ce sujet, omniprésent dans ses toiles, pourrait le faire croire. Ce sont les travailleurs invisibles de notre société capitalistique globalisée auxquels il souhaite redonner une humanité. La question du vêtement et sa connotation socio-culturelle l’intrigue et le motive tout particulièrement. « Quand je parle de mes livreurs, je parle de leurs costumes. Leur métier est souvent autre mais dès qu’ils revêtent cet habit, ils revêtent un rôle social » résume-t-il. Comme deux univers étanches qui se croisent, à l’image de son parcours, entre l’usine et le monde de l’art. Une dualité où la question du symbole permet ce point de bascule comme le décrit le philosophe et critique d’art américain Arthur Danto qu’il cite.

 

Autre source d’inspiration majeure, le photographe allemand August Sander et sa classification sociologique, à laquelle il se réfère quand il commence à représenter ses camarades manutentionnaires dans différentes usines de la région de Bourges.  C’est en arrivant à Paris qu’il réalise que ces livreurs à vélo sont les nouveaux visages de ce monde prolétaire 2.0. Le témoignage de Jules Salé dans le livre « L’exploitation à la cool » publié en mai 2020 rejoint ce réalisme brutal mais aseptisé qu’il traque dans les moindres détails et accessoires, l’ubérisation fonctionnant par des codes immédiatement reconnaissables.

 

Les grands thèmes de l’histoire de l’art, comme la chute d’Icare, l’ont précédemment conduit à imaginer cette série de livreurs Deliveroo abandonnés et prostrés dans la neige ou percutés dans leur course folle. Cette codification pyramidale de la peinture française classique se retrouve dans le portrait d’un autre livreur dont la silhouette en pied renvoie directement au costume de sacre du roi Louis XIV par Hyacinthe Rigaud, conservé au Louvre.

 

La nature morte et la scène de genre flamande l’inspirent également beaucoup, comme dans cette œuvre en préparation où une veste orange fluorescent de l’entreprise de livraison « Just Eat » a été jetée au sol d’un intérieur bourgeois, contradiction qui interpelle d’autant plus.  Il avait déjà soulevé cette dichotomie avec le portrait du livreur Deliveroo réalisé dans le bureau de Jean de Loisy, comme il me le confie, alors que ce livreur est étudiant aux Beaux-Arts de Paris. La toile a immédiatement trouvé preneur à Art Paris. Une dérive fictionnelle qu’il pousse jusqu’à représenter une femme livreuse alors qu’elles ne sont pas nombreuses dans ce métier et qui, de plus, serait voilée.

 

Sa méthode consiste d’abord à des mises en scène très contrôlées qui donnent prétexte à des photo-montages avant de passer à la peinture en tant que telle. Entre plaisir du détail et plaisir du geste, il alterne petit et grand format.

 

Sa prochaine recherche, après les bouchers de Rungis qui penchent du côté de Rembrandt ou de Chaïm Soutine ou les livreurs, concerne les éboueurs de Paris avec leurs tenues aux couleurs fortes, prétextes à d’autres recherches autour des opposés chromatiques. Cherchant à s’inscrire dans son époque, il reproduit ces effets fluorescents et flashs que l’on retrouve dans ces compagnies globalisées, soulignant leur omniprésence dans notre quotidien, à tel point que la mode a jugé bon de s’en emparer à son tour. L’artiste ne revendique pas un message anticapitaliste et évoque plutôt des codes inconscients qui interviennent dans ses choix de motifs et de composition.

 

Il n’est pas encore représenté en galerie, préférant temporiser et prendre une certaine distance, pouvant enfin se dédier exclusivement à sa passion la peinture, et en vivre.


Ecoute voir, exposition collective

Théâtre des Expositions, Saison 2, Acte 1

jusqu’au 21 novembre

Beaux-Arts de Paris

13 quai Malaquais, Paris 6e

 

Natures mortes, exposition collective

du 18 novembre au 24 décembre 2021

Galerie Valérie Delaunay

42 rue de Montmorency, 75003 Paris

 

L’Enfer, exposition collective

du 27 novembre 2021 au 15 janvier 2022

Galerie Sabine Baysali

99 rue du Temple, 75003 Paris