Anne-Lise Voisin - La survivance des souvenirs

Par Sylvie Fontaine18 octobre 2023In Articles, 2023

Cette jeune artiste, née en 1994 et diplômée de l’Ecole des Beaux-Arts de Tours en 2017, s’intéresse à la multiplicité des récits de notre société dans un travail de transmission de la mémoire au travers d’archives et d’objets du quotidien.

Elle cite volontiers Georges Pérec et son livre Espèces d’espaces : « Mes espaces sont fragiles : le temps va les user, les détruire : rien ne ressemblera plus à ce qui était, mes souvenirs me trahiront, l’oubli s’infiltrera dans ma mémoire, je regarderai sans les reconnaître quelques photos jaunies aux bords tout cassés. (…) »

Tout commence par la rencontre de l’autre. Cette glaneuse est à l’affut des petites histoires personnelles qu’elle rassemble dans ses archives et retranscrit à l’aide d’objets chinés dans les magasins d’occasion puis transformés dans des installations très poétiques évoquant des environnements domestiques.

Au printemps 2023, lors du 3e Parcours d’Art Contemporain Aparté proposé par le Collectif Embrayage, et dont elle est lauréate, elle avait échangé avec un des anciens habitants de Montmartre. De cette plongée dans l’intime et grâce à des prises de vue du quartier, elle avait réalisé tout un corpus d’œuvres disséminées subrepticement dans un salon de thé. Le passé surgissait ici et là et se mêlait à un quotidien ordinaire et actuel. Oscillant entre documentaire et fiction, Anne-Lise développe une œuvre polymorphe à l’aide de matériaux visuels et sonores auxquels s’ajoutent des objets fait main.

A l’été 2023, pour la galerie Horae, sous le titre Demain il fera toujours bleu. D’un soleil brulant qui ne sera pas présage d’été, il s’agissait d’une plongée aux origines de son travail relatant son attachement à la ferme de ses grands-parents vouée à disparaitre. Des sabots invitaient le spectateur à pénétrer dans l’espace où trônait une table de jardin recouverte de haricots verts en faïence blanche évoquant les douces après-midis passées avec son aïeule. Un fil bleu courait le long des murs retraçant les contours de la ferme, lien ténu entre tous les objets d’un quotidien à haut potentiel évocateur. Une manière sensible de porter un regard sur le monde rural.

Pour sa prochaine participation à l’exposition du Centre d’art l’ar[T]senal à Dreux, dans le cadre du Festival ar(T]chipel en partenariat avec le Centre Pompidou, l’artiste présentera, avec Après nous la fin du monde, les œuvres produites lors de sa résidence à l’été 2023 au sein d’un établissement pour personnes âgées à Avoine sur la presqu’île du Véron. Elle y a collecté les récits des résidents et donne corps à leurs souvenirs d’une vie partagée entre ruralité et monde industriel, puisque les champs ont fait place à une centrale nucléaire en 1980.

Cette tisseuse de liens du sensible tente d’arracher des bribes au vide qui se creuse dans une forme de solastalgie sans jamais tomber dans un discours passéiste et tout en restant bien ancrée dans le présent. Les objets parlent, s’animent et nous emportent dans d’autres temporalités malgré une époque actuelle où le temps nous glisse entre les doigts.

Prise par un sentiment d’urgence face à ces récits et paysages en constante évolution, elle entamera ultérieurement un Tour de France de sa famille, afin de collecter les paroles de chacun pour une nouvelle fois réécrire les petites histoires d’une mémoire collective.

« Qu’est ce qui constitue la mémoire de notre temps ? Comment contrer l’effacement des images et des formes dans un monde où nous tentons de réduire notre impact ? » interroge Anne-Lise Voisin.

 

Infos

Manifestations Artistiques

du 06 octobre 2023 au 14 janvier 2024

Centre d’art contemporain l’ar[T]senal

13 Place Mésirard, Dreux