ANGELIKA MARKUL – Entre science et fiction
D’où venons-nous, où allons-nous ? Ce questionnement existentiel et philosophique est le moteur principal du travail d’Angelika Markul. Artiste « a(rt)venturière », elle explore, en étroite collaboration avec des chercheurs, des lieux emblématiques et des phénomènes énigmatiques susceptibles de nous donner les clefs de l’origine du vivant. Dans son exposition au CIAP de Vassivière, elle nous invite à un voyage immersif dans son univers, entre imaginaire et réel, qui relie les traces des temps anciens aux recherches scientifiques les plus récentes.
Dans le phare qui fait face au bâtiment-vaisseau du CIAP conçu par Aldo Rossi, le visiteur est accueilli par une installation sonore inquiétante et envoûtante qui se déclenche de manière aléatoire à différents moments de la journée. Angelika Markul, née en Pologne, y fait allusion à une légende de son pays natal : le sonneur de trompette de la tour Notre-Dame de Cracovie qui jadis annonçait l’ouverture et la fermeture des portes de la ville et prévenait de dangers imminents, comme celui de l’attaque des Tartares en 1241, pendant laquelle il fut tué par une flèche qui interrompit brusquement le son de la trompette. Dans Murmure la trompette est remplacée par des enregistrements sonores étranges mais néanmoins naturels provenant aussi bien des profondeurs de la terre que de l’immensité du cosmos. Ils ont été assemblés par le compositeur Côme Aguiar qui signe également les bandes sonores des vidéos de l’artiste.
La mémoire des glaciers / Tierra del fuego
Dans sa vidéo La mémoire des glaciers, projetée sur un grand mur-cadre posé au milieu de la première salle, l’artiste associe une synthèse de milliers d’images, que la sonde européenne Rosetta avait prises en 2015, de la surface d’une comète découverte par des astronomes soviétiques 46 ans plus tôt, à des vues époustouflantes de glaciers qui se brisent et se désagrègent devant la caméra. Les images de la comète ont incité les chercheurs à envisager de nouvelles explications sur l’origine de la vie terrestre, alors que la fonte des glaciers est prémonitoire de la disparition prévisible de cette même vie. C’est en Terre de Feu, à l’extrême sud de l’Argentine et du Chili, qu’Angelika Markul a filmé ces glaciers qui, en diminuant progressivement, libèrent des traces de vie de temps révolus, comme la dépouille d’un mylodon, animal préhistorique aujourd’hui disparu.
Pour voir la réplique en bronze de cette dépouille, il faut descendre dans les entrailles du bâtiment-navire où l’artiste a construit une sorte de chapelle-sanctuaire avec des murs tendus de feutre vert. Cet espace nimbé d’une lumière jaune crépusculaire rend hommage, par des têtes-totems en cire quasi abstraites comme mangées par les ravages du temps, aux derniers représentants des Yagans, peuple indigène de Patagonie. Plusieurs dizaines d’entre eux furent « exportés » et exhibés dans des zoos humains européens au début du XXe siècle. Aucun n’a survécu.
BepiColombo / Marella
Pour l’a(rt)venturière Angelika Markul, chaque projet est un nouveau défi qui nécessite des mois, voire des années de préparation. A force de persévérance et de persuasion, elle arrive (presque) toujours à convaincre des scientifiques et des autorités de lui donner accès à des lieux strictement interdits au commun des mortels.
C’est ainsi qu’elle a obtenu l’autorisation exceptionnelle de pénétrer pendant une heure dans le laboratoire d’expérimentation d’une mission d’exploration de la planète Mercure programmée pour décembre 2025. Ces images futuristes sont associées à des vues de cratères géants de 1200 mètres de diamètre et 525 mètres de profondeur (les rares constructions humaines, avec la muraille de Chine, visibles depuis l’espace). Il s’agit de mines de diamants à ciel ouvert en Sibérie Orientale aujourd’hui abandonnées, témoins de la destruction du paysage et, probablement, de vies humaines, mais qui nous rappellent étrangement les images de la surface de la lune et d’autres planètes.
Dans la vidéo Marella Angelika Markul nous emmène sur la côte ouest de l’Australie, dans le territoire sanctuarisé des aborigènes Goolarabooloo qui se battent depuis une vingtaine d’années pour la préservation d’un site archéologique qui conserve d’innombrables empreintes de pieds de dinosaures qui apparaissent et disparaissent en fonction des mouvements de l’eau, de la lune et du sable. Dans les croyances mystiques des aborigènes, c’est le dieu Marella qui a laissé ces empreintes avant de quitter la terre pour rejoindre le ciel. Ce site chargé d’histoire et de croyance a failli disparaître à jamais avec le projet de construction d’une usine à gaz. Les aborigènes ont alors fait appel au paléontologue de renommée internationale Steve Salisbury qui a réussi à faire capoter le projet en demandant d’inscrire le site au patrimoine mondial de l’UNESCO. C’est grâce à lui que l’artiste a pu avoir accès à ce territoire extrêmement protégé. En tournant et diffusant ce film plus poétique que documentaire ou scientifique, elle s’est engagée à soutenir durablement la cause des aborigènes.
L’esprit vagabond d’Angelika Markul ne s’arrête jamais. Une semaine après le vernissage de son exposition à Vassivière, elle s’est envolée au Texas pour de nouvelles aventures.
INFOS :
Angelika Markul, La formule du temps
Commissaire : Marianne Lanavère
CIAP Ile de Vassivière : Centre International d’art et du paysage Ile de Vassivière, Beaumont-du-Lac
Réouverture du 2 juin au 1er novembre 2020