Alexia Fabre, du MAC/VAL aux Beaux-Arts de Paris

 

 

Portée par des valeurs essentielles à l’ADN du MAC/VAL que sont la diversité, l’accessibilité et la représentativité des femmes artistes, Alexia Fabre, nouvelle directrice de l’Ecole Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris et première femme à occuper ce poste, souligne le défi que représente ce nouveau chapitre de son parcours dans la continuité du travail accompli par Jean de Loisy autour de nombreux chantiers de taille.

 

En parallèle à cette nomination, Alexia Fabre a été invitée à être commissaire aux côtés d’Audrey Illouz et de Cristiano Raimondi de la nouvelle édition de CRUSH. Un accrochage temporaire destiné aux professionnels qui vise à renforcer la visibilité et la professionnalisation des étudiants (filière « Etudiants et Métiers d’art »), ce qui lui a donné l’occasion de nouer des rencontres passionnantes au sein de l’établissement et de découvrir des univers singuliers et affranchis de toute forme d’assignation.

 

Mais ce n’est pas sans nostalgie qu’elle va quitter le MAC/VAL où elle construit en 23 ans des projets emblématiques et très personnels auprès de nombreux artistes et une collection dans un territoire où l’art doit en permanence gagner sa légitimité. Un musée sur un terreau redevenu fertile et qui a vu grandir son public. Séquence émotion avec ce qui représente sa dernière présentation de la collection « A mains nues » née des réflexions inspirées par le confinement sur la place de nos corps et de nos liens à l’heure du tout virtuel. Alexia Fabre a répondu à mes questions en laissant son regard s’échapper vers le jardin du MAC/VAL, véritable poumon vert jalonné d’œuvres, parenthèse bienvenue dans le bitume et l’appétit frénétique des programmes immobiliers liés au Grand Paris Express qui reliera en très peu de temps le musée au centre de la capitale par la nouvelle ligne de métro 15. Une nouvelle dynamique aux accents multiples qu’avait pressentie alors Alexia Fabre engagée auprès du comité scientifique de cet ambitieux et irréversible projet francilien. Elle vient d’inaugurer avec Frank Lamy l’exposition temporaire Modern Lovers consacrée au duo d’artistes Karina Bisch et Nicolas Chardon.

 

Vous avez été choisie pour les Beaux-Arts sur un projet fédérateur en matière de pédagogie, de recherche et d’ouverture à l’international, quels en sont les fondements ?

Le projet que j’ai défendu repose sur un certain nombre de valeurs qui sont ancrées dans l’aventure même du MAC/VAL.

La première d’entre elles est la diversité. Je souhaite consolider l’accès à l’école qui s’est déjà engagée dans ce sens avec la VIA FERRATA, classe préparatoire aux examens et concours d’entrée dans les établissements supérieurs d’enseignement artistique. Portée par un certain nombre d’acteurs et de soutiens publics et privés (programme « Égalité des chances en école d’art » de la Fondation Culture et Diversité), cette classe préparatoire publique vise à faciliter l’accès à un certain nombre d’élèves issus de la diversité sociale et géographique. Au cours de mes échanges avec les artistes, j’ai réalisé le rôle prépondérant que pouvaient jouer les professeurs en arts plastiques pour faire connaitre ce dispositif.

Deuxième valeur : la question de l’égalité et de la représentation des femmes artistes, ce que nous avions engagé naturellement au musée. Nous avons autant suivi les femmes que les hommes et avons plus de femmes dans notre équipe. Dans l’école il y a à présent plus d’étudiantes que d’étudiants même s’il reste à travailler sur la reconnaissance des femmes artistes, et pas uniquement aux Beaux-arts mais dans le monde de l’art en général.

La sortie de l’école et la professionnalisation restent également de vrais sujets même si Jean de Loisy a déjà entrepris beaucoup. Malgré le Covid il a, en 3 ans, avec ses équipes, réalisé de nombreux projets qui rejoignent ma vision. Il a notamment créé la filière « Artistes et métiers de l’exposition », dont le Théâtre des expositions est l’une des composantes et matérialisations. Cette nouvelle filière ouvre et prépare les étudiants des Beaux-Arts à d’autres métiers que sont la régie, le commissariat, la production d’œuvres, la critique, la scénographie…ce qui rejoint un phénomène que j’ai éprouvé en tant que responsable de musée par rapport à tous ces métiers. J’ai pu reconnaître et apprécier la vraie plus-value de ces métiers quand ils sont exercés par des artistes. Ils ont un regard, une façon d’être uniques.

 

CRUSH, votre retour d’expérience

Je suis en effet commissaire de la 2ème édition de CRUSH avec Audrey Illouz, ancienne directrice de Micro-Onde et commissaire indépendante et Cristiano Raimondi, directeur artistique du Prix International d’Art Contemporain (Monaco). Ayant des agendas différents, nous avons chacun mené notre sélection et souhaité privilégier les rencontres avec les artistes dans les ateliers. Une plateforme regroupait l’ensemble des dossiers, 300, ce qui était beaucoup.

J’ai vu 80 artistes en  deux jours  et demi pour arriver à une sélection de 15 au final, un choix qui s’est révélé très difficile. En ce qui concerne mes critères, j’ai tenu à mêler différentes pratiques et médiums en vue de l’exposition. Ce qui m’a interpellée est la capacité de certains artistes à aller au-delà d’assignations liées aux volume et matériaux dans une sorte de revendication et de liberté.

 

« A mains nues » au MAC/VAL : votre nouvel accrochage des collections

Pour revenir à l’origine du projet à la suite du départ l’année dernière de plusieurs de mes collaboratrices ayant réussi le concours de conservation, j’ai alors sollicité Mélanie Meffrer Rondeau devenue consultante après la fermeture de la galerie Untilthen, pour m’accompagner dans l’élaboration et la réalisation de l’exposition. Autre commissaire associée : Florence Cosson qui était déjà dans l’équipe du musée et que j’ai tenu à faire évoluer.

En ce qui concerne la méthode, je tiens à préciser que je ne travaille jamais avec une feuille de route prédéfinie, car ce sont les œuvres qui s’imposent. En ce temps de la pandémie et de menace, la question du devenir, de la fragilité de nos corps, de la construction de soi est devenue essentielle aux côtés de nouvelles acquisitions et d’œuvres en écho, comme chez Nina Childress, Jean-Luc Blanc, Esther Ferrer, Mimosa Echard ou Romina De Novellis avec cette belle vidéo de femmes qui prennent leur destin en main.

Cette question de l’invention de soi, douce ou amère, combative est l’enjeu véritable de cette nouvelle présentation de la collection. Nous avons voulu transmettre un message d’espoir d’après Covid dans un état d’esprit assez joyeux autour des liens retrouvés, même si la réalité nous a bien entendu rattrapés, ce qui m’a obligé à revoir mes textes mais pas le projet en tant que tel. Les artistes femmes donnent en grande partie la mesure de ce parcours et de façon naturelle. Annette Messager en est devenue le cœur battant dans cette année si particulière. Elle a toujours fait partie de nos projets et je tenais à lui donner cette place. On retrouve aussi ce rapport aux autres à travers la conscience de la fragilité de notre corporéité qui reste d’une grande violence dans ces deux années que nous venons de traverser. Un trouble collectif. Ces relations très charnelles de ces mains qui se tendent et qui se touchent, de ce que nos corps racontent et disent de nous au-delà des mots par les vêtements, les bijoux, les tatouages, le maquillage, les prothèses. Des relations qui se sont transformées du fait de la pandémie en relations beaucoup plus abstraites par l’emprise grandissante du numérique. Cette viralité des images qui est en marche depuis des années et s’est trouvé accentuée. Je me suis d’ailleurs beaucoup nourrie et inspirée du livre d’Annie Lebrun Ceci tuera cela. Image, regard et capital, qui traite d’une prise de pouvoir de l’argent au nom de ce culte de la visibilité.

 

La carte blanche à Gaëlle Choisne

Nous l’avons invitée, sur les conseils de Mélanie Meffrer Rondeau, à introduire le vivant dans l’exposition et sa réponse est allée au-delà du cadre imparti dans la prise en compte du corps même des visiteurs, selon un principe d’hospitalité qui nous est cher au musée. Rien n’existe sans la présence du visiteur et encore plus après ces mois de pandémie. Il y a une sorte de manifeste chez elle autour de la capacité du regardeur à activer les dispositifs d’un ensemble fondé sur ce que l’humain a de meilleur à offrir. Avec Temple of Love, rejoué différemment selon les lieux et les occurrences, l’artiste engage un écosystème basé sur le contact, la soif de devenir, la germination, la vie.

Si vous deviez faire un bilan de ces années au MAC/VAL, quels mots vous viennent spontanément à l’esprit ?

Joie, bonheur… surprise. La surprise que ce musée existe sur ce lieu, un terrain vague au départ qui semblait infertile. Il faut préciser que nous sommes sur une ancienne pépinière avec une terre plus féconde que je le pensais.

Un autre mot important est le temps, 23 ans au total. Un temps long qui permet de regarder en arrière et de voir, non pas le travail accompli mais le public grandir. C’est une vraie source de satisfaction et au moment même où je vous réponds je regarde par la fenêtre, et j’observe dans le jardin des jeunes, des ados sans doute en 5e ou 4e . Garder le contact avec ces enfants qui étaient en primaire ou en maternelle avec mes enfants et qui sont devenus des jeunes adultes. Ce musée a germé et installé des liens avec certains, pas tous évidemment mais assez pour se sentir heureuse. Il n’y a que le temps long qui permette de réaliser cela. Comme les arbres ont grandi dans le jardin, le public aussi. A l’image de ce que nous avions proposé à l’occasion des 10 ans du musée quand le pénétrable de Soto avait été rebaptisé « les spaghettis » par les petits de Vitry. Un temps fort qui avait permis de mesurer à quel point la greffe avait porté ses fruits. Voir pousser les choses, les idées et les projets.

 

Quelle est la genèse de l’invitation à Karina Bisch et Nicolas Chardon ?

Nous sommes heureux d’inviter, avec Frank Lamy, deux artistes, Karina Bisch et Nicolas Chardon qui pour ce projet singulier au MAC/VAL forment un duo. A quatre mains, ils rejouent leur production respective dans une exposition qui envisage univers domestique et enjeux des expositions, hommage aux pavillons historiques qui mêlent l’art et la vie.

 


INFOS :

 

ENSBA Paris

  • CRUSH 2èédition (terminé)
  • Le Théâtre des Expositions Acte 3 à partir du 10 juin

Au MAC/VAL :

  • A mains nues, nouveau parcours des collections
  • Temple of Love – Atopos 

Invitée de la collection : Gaëlle Choisne

Jusqu’au 15 décembre 2022

  • Modern Lovers,Karina Bisch et Nicolas Chardon

du 12 mars au 28 août 2022