Benoît Piéron, ministre des passe-temps

Par Amélie Boulin26 avril 2025In Articles, 2025

 

 

Pas de musique funky au Ministère des passe-temps. C’est sur le doux grésillement de l’analgésique que se fera la visite de l’exposition de Benoît Piéron. Une bande-son toute indiquée pour réconcilier le spectateur avec le milieu hospitalier.

 

L’effervescence résonne encore dans les oreilles quand on visite le premier étage du Grand Café de Saint Nazaire. C’est que tout le rez-de-chaussée du bâtiment résonne de la dissolution du comprimé miscible dans l’eau. Ce son trouve sa source dans la salle du Bal des dispersé-es, dont la boule disco projette mollement le rayonnement de ses facettes. Si les guirlandes de fanions qui décorent la salle apparaissent pastel, ce n’est là qu’un effet des lessives agressives. Ces pans de tissus proviennent en effet de draps reformés des hôpitaux, dont les « taches propres » et les inscriptions, lisibles dans les triangles des fanions, renseignent peu à peu sur leur provenance. Comme un pendant, se situe de l’autre côté du couloir Laundrette, une laverie automatique où s’alignent trois machines à laver. L’artiste revient ici sur un phénomène particulier : la laverie est le seul endroit où l’on peut sortir ses sous-vêtements sans avoir à les cacher. Cycle indéfini, sans début ni final strident, ces machines à laver anonymes sont un prolongement du thème d’Edward Hopper, peintre américain des années 40 dont les compositions distendent le temps. L’hôpital figure en effet comme le haut lieu des latences et des attentes pour le malade désœuvré.

C’est là tout le propos de Benoît Piéron dans cette vaste exposition : explorer ce temps dont est dépossédé le patient. Cela commence par prêter attention aux détails, et notamment cette économie de la laverie, restée dans l’ombre. Qui lave, qui nettoie dans le milieu hospitalier ? Le ronronnement de la bête javellisée trahit une abrasion quotidienne, la douceur de l’érosion des draps en coton renouvelés sans un bruit.

Ces machines à laver évoquent tant le monde souterrain et intérieur de l’hôpital que celui extérieur, vu au travers de la fenêtre. Leurs tambours sont de véritables jouets optiques. En mouvement, une lumière disco évanescente tourne au rythme du programme – en réalité un gyrophare, lumière de l’urgence, adouci d’un abat-jour pour aller à contre-courant de la lumière agressive des néons d’hôpitaux. La colorimétrie aussi a été revue. A rebours du blanc ou du rouge criard, on y retrouve la même gamme de pastel que dans la salle du Bal, l’occasion pour l’artiste d’associer une nouvelle tonalité, plus joyeuse, au monde médical.

C’est ainsi qu’à l’étage il propose des fuites. Dans le corridor, un chariot de nettoyage réceptionne le goutte-à-goutte du système d’arrosage installé au plafond. Perfusion grandeur nature, le clapotis résonne timidement dans le calme de l’exposition. Libre à chacun de compter les fréquences et les intervalles de ce métronome liquide qui offre une expérience de fuite dans le cadre rigoureusement clinique. L’artiste aspire à des inondations. Au fond du chariot de nettoyage, Benoît Piéron a intégré la magie d’un monde miniature, celui du gravier rose des aquariums, autre monde en soi qui fonctionne comme la perfusion, en circuit fermé. Au bout du couloir habite la sempiternelle plante de salle d’attente, un palmier, ici sous perfusion. L’antithèse vient du fait que ce végétal ne nécessite pas trop d’eau, pas trop de lumière non plus, et ne produit pas trop de poussière. Un comble quand un lieu réunit dans un même espace les gens destinés à recevoir des soins, et une plante d’intérieur n’en nécessitant aucun. Posé sur un pied roulant couvert de sparadrap, l’artiste retire au palmier son autosuffisance en le rendant invalide, le sparadrap renvoyant tant à la blessure qu’à la surface de la peau, dans un esprit de bricolage. Le flash de lumière sur le palmier produit quant à lui un fort contraste et fait naître dans cette composition une part d’ombre, celle que tout à chacun est sensé apprivoisé.

Fort heureusement, Monique la chauve-souris veille. Cette peluche de compagnie, pensée avec Guillaume Sultana lors de l’exposition Illness shower en 2022, permet de donner des yeux à la maladie, sous la figure de la chauve-souris. Cette dernière est rattachée à celle du vampire dans la tradition populaire. Elle induit un rapport obnubilé au sang, très présent dans le milieu médical, alors même que le vampire se situe dans un entre-deux : ni tout à fait vivant, ni tout à fait mort. La chauve-souris, devenue l’emblème du Ministère des passe-temps dans sa fusion avec le logo des Hôpitaux de Paris, parsème bientôt un pan de mur entier, celui du Bureau officiel des passe-temps. Des tampons encreurs viennent augmenter au fur et à mesure le patchwork des chauves-souris, leurs différences de tailles jouant entre l’effet de papier peint et celui de profondeur, car l’horizon de la mer est au bout de la rue du Grand Café. Les visiteurs sont invités à colorier ces empreintes de chauves-souris, rare privilège accordé de pouvoir dessiner sur les murs. Benoît Piéron se plaît ainsi à aller régulièrement contre les règles strictes des institutions, incluant d’ailleurs dans ses œuvres les chaises qu’on lui refuse d’ordinaire pour le public. Cela ne fait pas exception ici : des assises sont incluses dans l’oeuvre Laundrette, ainsi que dans l’espace central du premier étage, aux tons poudrés. Un grand siège dans ce même tissu réformé accueille une pile de coussins fabriqués dans ces mêmes draps, remplis des grains de millet dont la densité rappelle celui du corps. Leurs formes organiques et leur usage possible en tant que bouillotte en font donc des pièces à câliner, dédiées à faire du bien.

 

Dans ce temps dilaté de l’hospitalier, il faut comprendre le message d’apaisement de Benoît Piéron. Son humour salvateur offre un autre regard sur la réalité médicale, sans rien cacher ni édulcorer ; la lessive s’en est déjà chargée. C’est une exposition à voir pour se soigner, ou pour simplement s’égarer quelques heures, tout entier à la contemplation des anfractuosités du banal.

 

Benoît Piéron

Ministère des passe-temps

Jusqu’au 25 mai 2025

Le Grand Café – centre d’art contemporain

2 place des Quatre Z’Horloges, Saint-Nazaire