Carlota Sandoval Lizarralde - Le Jardin de ses pensées
Au sein des ateliers d’Artagon [Pantin], celui de Carlota Sandoval Lizarralde fourmille d’objets précieux. Baigné d’une lumière qui se reflète sur ses aplats de couleurs, ce lieu se présente comme un refuge où son récit s’inscrit dans une narration engagée. Dans son monde calfeutré, les teintes chatoyantes de ses dessins répondent au parfum printanier. Carlota sollicite l’ensemble de sa personne et ses gestes intuitifs libèrent son énergie créatrice. Ses dessins se transforment alors en un flux où le mouvement se révèle dans ses traits énergiques. Face à eux, « encanto » se manifeste sous la forme d’un éblouissement magique qui nous réconforte.
Depuis son plus jeune âge, la frontière a toujours été une composante majeure de son environnement. Cette cohabitation singulière s’accompagne d’un apprentissage complexe. Comment appréhende-t-elle cette relation ambivalente où tout peut se troubler, à l’instar du langage lui-même ? Comment cette frontière influe-t-elle sur l’individu l’altérant profondément ? Selon ses propres mots, « la frontière n’est pas un espace de manque, mais plutôt un espace de puissance et de possibles ». Cette démarche engendre une alchimie sensible où chacun peut trouver sa liberté. Dès lors, l’expérience proposée par Carlota s’envisage comme une invitation à se découvrir dans une contrainte maîtrisée. En somme, la portée symbolique des frontières se compose de fragments rassemblés, d’actions pour nous réunir et d’échanges sur l’expérience même du déplacement.
En outre, son œuvre révèle une complexité narrative caractérisée par une superposition de strates qui s’entrelacent au sein de son histoire familiale. L’exil – sujet récurrent dans son travail – est abordé par la forme, invitant le regard à une réflexion sur les enjeux de l’identité et de ses altérités. Cette force, à la fois affective et spirituelle, la « guide » dans son errance intérieure pour composer des dispositifs qui s’entremêlent de manière infinie. Cependant, les lignes de ses dessins s’enracinent dans le papier, invitant le spectateur à parcourir les recoins de son jardin métaphorique. Ses vitraux dessinés deviennent alors des fenêtres ouvertes sur son intériorité et la persistance de ses souvenirs. Ils résonnent ensuite avec notre regard attentif, générant une harmonie visuelle et émotionnelle.
En mettant l’accent sur les contours du vivant, elle esquisse, sur le papier, une nature dépourvue d’horizon accompagnée d’une lecture sensitive de son environnement. De maison en maison, d’atelier en atelier, le chez-soi, tel qu’elle l’envisage, se transforme en un espace d’expression évolutif. Conçu avec une attention méticuleuse, chaque endroit est investi dès lors d’une chaleur humaine. Elle documente son parcours dont l’identité se métamorphose. L’artiste établit de ce fait une symbiose entre le lieu habité et la mémoire des diasporas, caractérisée par une joie et un plaisir sans faille. Tout comme ses ateliers, ses expositions se présentent alors comme des lieux de communion, d’exploration et de traversée qui enveloppent le spectateur de ses visions.
Pour autant, son écriture colorée compose les paysages en aplats. Les couleurs vibrantes sont considérées comme des missives adressées qui évoquent les souvenirs intenses et foisonnants de sa pensée. Ces derniers, qui l’habitent constamment, surgissent et se mêlent, donnant naissance à une trame élaborée de rêveries et de songes. Par sa nature fluide et continue, la pensée peut se manifester au-delà de toutes les frontières préétablies. Selon l’artiste, « la couleur [dans son œuvre] est une forme de pensée », elle nous convie par conséquent à nous aventurer librement au sein de la matière afin d’entrer en résonance avec sa réflexion.
Dans son exposition Laisse la main cueillir, Carlota Sandoval Lizarralde ne fait qu’un avec ce jardin. Sans attache apparente, elle œuvre à une vision spontanée et lumineuse. La couleur se métamorphose en un vocabulaire reconnaissable. Le paysage se sature tout en révélant son essence. Des paniers en osier s’assemblent pour nous inviter à cueillir les fleurs et nos souvenirs. Cette connexion sensible se matérialise par l’entremise d’objets confiés par sa mère, au sein de ses sculptures, qui se chargent de ses souvenirs glanés. Carlota nous offre donc un don de soi pour appréhender les croyances colombiennes de son enfance et les superstitions liées à la spiritualité, au psychique et au physique qu’elle récolte au fil de son chemin.
Par une spontanéité instinctive, elle esquisse, parcelle par parcelle, l’espace qui s’étend face à elle. L’artiste se déplace physiquement pour entreprendre une exploration initiatique à travers les détours de son jardin. À l’instar du vivant, ses dessins ne sont jamais statiques.
À l’image des bulbes de tulipe, Carlota Sandoval Lizarralde donne naissance à de nouvelles variétés de formes. Chaque bouture de ses dessins s’inscrit alors dans une dynamique de propagation et de correspondance, évoquant le geste par lequel d’autres fleurs éclosent. De ce fait, elle dépeint la nature comme une entité libre qu’elle modèle au fil de ses compositions. À la manière d’une tulipe, ses dessins déchirés ressurgissent dans le Frac Île-de-France [Le Plateau], se régénèrent et se transforment sans cesse.
Carlota Sandoval Lizarralde nous conte un univers intermédiaire situé à la croisée de la figuration et de l’abstraction. Tout en ambiguïté, son monde s’affranchit pour nous accueillir en intégrant une diversité de formes et de compositions. Ces interstices, qui communiquent simultanément entre le visible et le spirituel, se perçoivent par le prisme de la couleur. Son identité composite s’éclate et se recompose, à l’image de ses dessins dans les espaces flottants qu’elle habite. Ces espaces de liberté, étroitement liés à son expérience intérieure, servent de miroir à sa vision du monde qu’elle explore. Par des jeux de perspective, le dessin se réverbère dans sa pensée et les horizons de son enfance. Ainsi, cette réalité migratoire témoigne de son vécu et se transforme en une narration langagière unique. Carlota nous invite ainsi à nous émerveiller, tout en nous incitant à la réflexion sur les incertitudes qui nous entourent.
Enfin, au moment du départ, Carlota Sandoval Lizarralde nous cueille à l’intérieur de la frontière, ce terrain fertile qui fait germer ses idées. Nous découvrons alors le système racinaire de son introspection dans les couches de ses dessins. Elle nous murmure ses poèmes qui s’exposent comme un flux perpétuel au sein de ses paysages intérieurs. Par le biais d’une contamination tactile, une autre vie, en dehors de l’exposition, s’exporte par l’intermédiaire de nos souvenirs, de nos mots ou à travers une tache provenant de ses dessins.
Infos pratiques
En cours
* Laisse la main cueillir, exposition personnelle, curation Maëlle Dault, Le Plateau Frac Ile-de-France, 21.03 – 04.05, Paris
* 100 % L’EXPO, curation Inès Geoffroy, La Villette, 10.04 – 11.05, Paris
* Résidence In Situ en partenariat avec les Magasins Généraux et l’Art en partage au collège Paul Painlevé à Sevran, novembre 2024 à juin 2025
* Lauréate 2025 du Prix de la Marraine & CWB/Paris
* Lauréate 2024 de la bourse UnicArts de l’Université Côte d’Azur
A venir
* L’école idéale, curation Anna Labouze & Keimis Henni, Magasins Généraux, 19.06 – 12.10, Pantin
* Résidence Hôtel de Craon, Fonds de dotation Encore, juin à septembre, La Rochelle
* Exposition des fiinalistes du Prix Sheds, Les Sheds, Pantin, octobre 2025