Joël Riff - La Verrière Hermès Bruxelles
De tous les lieux d’art de Bruxelles, La Verrière est certainement un des plus atypiques : un grand espace d’exposition lumineux niché tout au fond du magasin de la maison de luxe. C’est l’une des quatre adresses de la Fondation d’entreprise Hermès en Europe et en Asie dédiées à l’art contemporain. Elle fêtera ses 25 ans l’année prochaine.
Entretien avec son commissaire Joël Riff.
Maya Sachweh : Vous avez été nommé en septembre 2022. Quel est votre parcours et quelles sont vos autres activités ?
Joël Riff : Je suis commissaire indépendant missionné par la Fondation d’entreprise Hermès pour assurer la programmation de La Verrière. Je continue mon engagement à Moly-Sabata, la résidence de la Fondation Albert Gleizes située au sud de Lyon, où je travaille depuis dix ans, et qui accueille une trentaine d’artistes par an. Mon implication durable dans un lieu d’hospitalité créé en 1927 a dû jouer un rôle dans mon recrutement à La Verrière, où on mise également sur des collaborations à long terme. Je ne suis que le troisième commissaire depuis les débuts en 2000, après Alice Morgaine et Guillaume Désanges. Lorsque je ne suis pas à Bruxelles, je suis au bord du Rhône ou en voyage pour visiter des expositions, au moins une par jour depuis vingt ans, ce qui nourrit énormément mon expertise. À Paris, après avoir été membre de la commission d’acquisition du Cnap pour les arts décoratifs, design et métiers d’art durant trois ans, j’accompagne en mentorat une promotion de Master à l’École Duperré qui m’a formé.
MS : Comment sont nommés les directeurs artistiques de La Verrière ?
JR : La Fondation d’entreprise Hermès ne procède pas par appel à candidature. Plusieurs personnalités ont été invitées à partager leur vision pour cet endroit. Pendant quelques mois, il y a eu de nombreuses rencontres et conversations qui ont permis de préciser chaque projet.
MS : Qu’est-ce qui vous a motivé à accepter le poste ?
JR : La Fondation d’entreprise Hermès engage des moyens de production importants pour soutenir des artistes à l’étranger dans un superbe lieu de diffusion, dans une capitale. C’est une dynamique parfaitement complémentaire à l’élan d’hospitalité que je développe en pleine campagne. Et je trouve beaucoup de plaisir à travailler avec l’équipe de la Fondation qui me fait entièrement confiance en donnant carte blanche pour mes expositions.
MS : Le lieu est quand-même assez spécial : il faut traverser le magasin Hermès pour accéder à La Verrière, est-ce que c’est un handicap ou un atout ?
JR : C’est un prélude essentiel à cet espace de 250 mètres carrés. La Maison accueille d’abord son public au sein de ce qu’elle fabrique, on connaît bien les valeurs qui la qualifient, la félicité du bon produit façonné par des beaux gestes. Cette traversée est une expérience qui donne le ton à ce qui va suivre. Elle fait partie intégrante du scénario de visite.
MS : Votre prédécesseur Guillaume Désanges, aujourd’hui à la tête du Palais de Tokyo et ancien directeur artistique du Salon de Montrouge, avait construit sa programmation sur des cycles thématiques. Quel est votre axe de programmation depuis deux ans ?
JR : Dès ma première exposition début 2023, je me suis dit qu’il n’y avait pas de raison de choisir entre les différents plaisirs de commissaire. Je sais ce que signifie un premier solo à l’étranger dans la carrière d’un artiste. Je sais aussi les bonheurs d’associer plusieurs personnalités dans un group show. On allait donc concevoir des expositions personnelles collectives, ce que j’appelle des « solos augmentés ». C’est vraiment multi-dimensionnel, à l’image de la première exposition de et autour de Marion Verboom. Mon travail est de donner à voir. Je peux écrire que Richard Deacon était le professeur de Marion Verboom et qu’elle regarde beaucoup Henri Laurens, par exemple. Mais autant le montrer et faire confiance au public, ne pas l’accueillir par un texte mais par un accrochage hospitalier qui va lui envoyer tous les signaux pour expérimenter lui-même.
Dans ma programmation, je veille également à montrer des artistes belges, comme Anne Marie Laureys et Koenraad Dedobbeleer, et à ouvrir nos yeux sur des artistes historiques, comme le peintre Cristof Yvoré, mort en 2013.
MS : Pour la rentrée d’automne 2024, vous avez invité Hélène Bertin que vous connaissez depuis longtemps car elle a été résidente à Moly-Sabata, pour présenter un projet développé à la Villa Médicis ces derniers mois. Qu’est-ce qui se cache derrière le titre « Esperluette » ?
JR : Hélène Bertin est d’emblée dans une dynamique plurielle. Toute son œuvre ne fait que confirmer et montrer au public combien on ne travaille pas seul et que la rencontre, l’expérience sur le terrain, vont nourrir une œuvre. L’esperluette, ce caractère typographique qui associe visuellement deux termes dans un texte, devient la méthode même d’Hélène Bertin. L’artiste a développé son projet lors de sa résidence à la Villa Médicis en 2023/24. Elle s’y est particulièrement intéressée à une danse paysanne traditionnelle de cueillette. Il y a des objets, du mouvement, quelque chose d’assez centrifuge qui invite l’audience à tournoyer sous la verrière. Elle est accompagnée de cinq complices, une charpentière marine, une teinturière végétale, une musicienne, une potière et une cueilleuse de fleurs. Il s’agit de complicités qu’elle développe depuis plusieurs années. C’est son premier solo show à l’étranger, aussi surprenant que cela puisse paraître.
MS : La Verrière va fêter ses 25 ans d’existence en 2025. Quels sont vos prochains projets d’exposition ?
JR : On reste sur trois expositions par an, toujours des solos augmentés. L’année commencera avec la première exposition personnelle en Belgique de Pélagie Gbaguidi, basée au sud de Bruxelles. Et suivront deux collaborations inédites, d’abord la nouvelle étape d’une connivence au long cours avec une artiste avec laquelle je travaille depuis plus d’une quinzaine d’années, puis un tout premier projet avec une artiste dont je célèbre la production depuis longtemps. Je suis attaché à la continuité des relations au fil du temps, sachant qu’il faut bien commencer quelque part.
Propos recueillis par Maya Sachweh
Infos
Hélène Bertin : Esperluette
Du 13 septembre au 30 novembre 2024
La Verrière Hermès
Boulevard de Waterloo 50, Bruxelles