MANIFESTA 15 - Décentralisation et impact durable

Par Marie de La Fresnaye6 octobre 2024In Articles, 2024

 

 

Avec 12 villes, 92 participants et 58% de nouvelles productions, la fondatrice de l’événement Hedwig Fijen offre pour sa dernière édition une synthèse de l’ADN de MANIFESTA. Fait inédit, la cartographie s’est décentralisée de Barcelone à la périphérie à partir de 3 zones thématiques et géographiques : Balancing Conflicts (Delta du Llobregat), Cure and Care (massif de Collserola) et Imagining Futures (rivière Besòs et ses environs) répondant à des enjeux tels que le surtourisme, l’épuisement des ressources et l’exclusion sociale. Le rôle des femmes catalanes dans des dynamiques de résistance liées au passé textile est particulièrement mis en avant.

Le siège de Manifesta est l’ancienne maison d’édition de Gustavo Gili, édifice pionnier de l’architecture rationaliste, où sont proposées les archives de la biennale et des recherches commandées spécialement pour l’occasion.

La thématique « Équilibrer les conflits » est illustrée par la résidence d’inspiration moderniste Casa Gomis, menacée par l’extension de l’aéroport. A l’épicentre de l’avant-garde catalane, elle offre un cadre spectaculaire aux artistes invités. L’on remarque Enrique Ramirez et son néon Pour construire un jardin il faut un morceau de terre et l’éternité, Felipe Romero Beltràn et la photographie d’un groupe de mineurs marocains dans un camp d’internement espagnol, ainsi que les pionnières Ana Mendieta et Fina Miralles.

A L’Hospitalet de Llobregat, ancienne cité ouvrière convertie en un pôle d’espaces d’art, Lara Schnitger, dans une perspective écoféministe, s’est saisie du passé textile de la Catalogne pour habiller les nombreuses cheminées du paysage de bannières conçues avec une association de couturières locales.

Autre fabrique : Can Trixet avec Binta Diaw et l’installation Dïà s p o r a qui rejoue, à partir de grandes tresses de cheveux féminins, les chemins de marronage autrefois utilisés par les esclaves, la chevelure cachant potentiellement des graines pour une possible vie nouvelle.

L’autre grand chapitre « Cure and care » explore le pouvoir curatif de l’art, à partir du poumon vert que représente la montagne de Collserola avec pour lieu principal le monastère du XIe siècle de Sant Cugat del Vallès. Dans le cloître roman, l’artiste Martin Toloku propose une performance basée sur l’activation de ses sculptures totems en lien avec l’esprit de ses ancêtres charpentiers au Ghana et son apprentissage du flamenco à Barcelone. La grande tapisserie de l’artiste Fanja Bouts déroule une sorte de « magna carta » du capitalisme débridé de façon critique et humoristique.

Marie-Claire Messouma Manlanbien, avec son Temple du soin, entre en correspondance avec le passé spirituel du monastère dans une célébration autour du pouvoir unificateur de l’eau. La vidéo Liquid Transfers de Diana Policarpo imagine une fiction dystopique à partir des usages de l’ergot au Moyen-Âge par des guérisseurs et sages-femmes et ses résurgences plus contemporaines.

L’artiste sud-africaine Buhlebezwe Siwani, à partir de sa fonction de sangoma, guérisseuse et devineresse spirituelle dans la tradition Nguni, opère un maillage entre les pratiques spirituelles de son pays et les stigmates de l’héritage colonial avec la grande sculpture suspendue de ceintures en laine suggérant les soins prodigués par les ancêtres.

De plus à Terrassa (La Seu d’Egara), elle propose une œuvre puissante en lien avec la mémoire de ce site archéologique et celle de sa mère et de sa grand-mère à partir d’un savon vert bon marché de son enfance. En dialogue, les sculptures de Seyni Awa Camara qui convoque les esprits de la forêt et la présence des ancêtres ou les films d’Ana Mendieta des parois des grottes de Jaruco, participent d’une même réconciliation avec la nature.

A Granollers, lieu de mémoire et de bombardement lié à la Guerre Civile, Félix Blume propose l’installation Essaim, un dispositif sonore immersif qui reprend le son des abeilles pour signaler les menaces qui pèsent sur cet écosystème.

Le collectif Masbedo nous place dans un contexte anxiogène entre archives de films de guerre et bruits de bombardements dans un ancien abri antiaérien avec Ghost soldier. Au musée des Sciences Naturelles, Eva Chettle parsème des artefacts au sein même des collections à partir de tout un bestiaire de son invention. Dans le jardin, la vidéo le nœud de la gorge de Jonathas de Andrade part des interactions de certains employés d’un zoo privé au Brésil avec des serpents pour susciter chez le regardeur un certain malaise.

La trilogie se ferme sur « Imaginer les futurs » avec l’ancienne prison de Mataró, premier centre pénitentiaire espagnol panoptique, ce qui inspire l’artiste Domènec pour un travail autour du dispositif architectural des camps de concentration en Europe. Eva Fàbregas et son environnement de sculptures gonflables, Exudates, parasite et déstabilise la mémoire du lieu. Priyageetha Dia, qui participe à la Biennale de Venise 2024, examine les transferts de population entre l’Inde et la Malaisie sous la domination coloniale britannique en lien avec les nouvelles formes d’exploitations technologiques mondialisées.

Surnommée la Sagrada Familia de l’électricité, la centrale thermique Las Tres Chimeneas est ouverte pour la première fois au public à l’occasion de MANIFESTA et s’inscrit dans des problématiques de transformations urbaines et sociales. La bannière de Jeremy Deller inspirée de la Bible dès l’entrée du site nous invite à adopter un autre dialogue avec la planète. Niels Albers, à partir de schémas migratoires de 250 espèces d’oiseaux traduits en une structure en bois incurvée en forme de triangles, insiste sur l’impact du changement climatique sur ces espèces.

Le duo Choi + Shine a imaginé une œuvre participative textile reproduisant un squelette d’oursin à grande échelle célébrant les richesses de la mer. S’emparant du denier étage, l’artiste Asad Raza signe une œuvre d’une grande simplicité et rigueur à partir de tentures blanches qui oscillent sous l’action du vent méditerranéen le Sirocco dans un équilibre en perpétuelle recomposition. Le collectif féministe Claire Fontaine avec le néon Where women strike the world stops, revient sur le rôle joué par les femmes. L’artiste Kiluanji Kia Henda, avec The Frankenstein Tree, illustre la capacité de résilience de la nature à partir de restes d’arbres brûlés lors des incendies dans la région. Carlos Bunga imagine une vaste peinture jaune et performative en réaction à la pollution de l’air et de l’eau. Ugo Schiavi reprend le principe de l’installation extensive avec des plantes contaminées des environs de la centrale, qui, couplées à la machine, donnent naissance à des espèces mutantes.

Infos pratiques :

MANIFESTA 15 Barcelone et sa région

du 8 septembre au 24 novembre 2024