BIENNALE DE LYON - A L’ÉCOUTE DU MONDE

Par Sylvie Fontaine4 octobre 2024In Articles, 2024

 

 

Pour sa 17e édition intitulée Les voix des fleuves – Crossing the water, la Biennale de Lyon, manifestation incontournable en France dans le domaine de l’art contemporain depuis 1991, réunit cet automne 78 artistes et 280 œuvres sur neuf sites dans un dialogue avec les populations et l’implication de tout un écosystème régional. Elle s’étend, avec le programme « Résonance », à près de 150 structures sur tout le territoire.

Aux lieux historiques que sont le Musée d’art contemporain, le Musée des Beaux-Arts et l’Institut d’Art Contemporain de Villeurbanne s’ajoutent deux nouveaux espaces : les Grandes Locos, un bâtiment industriel du 19e siècle, ancien centre technique de la SNCF, et la Cité Internationale de la Gastronomie installée dans les hospices du Grand Hôtel-Dieu construit au 12e siècle et transformé au 18e. Ces sites ont nourri la commissaire invitée Alexia Fabre qui, aux côtés de la directrice artistique Isabelle Bertolotti, a composé un récit choral à l’écoute de l’Autre, tout au long du fleuve.
« Quel regard porte-t-on sur les personnes qui vivent à nos côtés ? Comment accepter ce qui est distinct de soi et imaginer de nouvelles manières de vivre ensemble ? » interroge-t-elle en préambule. A chaque site une thématique est associée avec 70% des œuvres produites spécifiquement et un fort accent mis sur la scène émergente avec des artistes étudiant ou vivant en France.
Le voyage commence à Lyon Part-Dieu dans les vitrines du métro qui emmène le visiteur vers le site majeur des Grandes Locos, où Edi Dubien présente dessins et aquarelles de ses personnages énigmatiques dans un dialogue sensible avec la nature et les animaux.
Au sein du quartier de la Mulatière, dans les hangars majestueux de cet ancien haut lieu de l’industrie ferroviaire, sont évoqués les principes de déplacement, de résistance, de réparation et la force du collectif avec une trentaine de propositions, monumentales pour beaucoup. D’étranges glyphes décorent la voûte de cette cathédrale à la lumière zénithale. Ce sont les néons de Michel de Broin, qui soulignent les fissures du bâtiment résultant des mouvements de terrain au fil des ans et les traces de leurs réparations. Myriam Mihindou retranscrit le soulèvement des ouvriers avec une forêt de bras et doigts levés dans ce théâtre de luttes sociales. Un chant révolutionnaire résonne, émis par une armée de cocottes-minutes sifflantes installées par Pilar Albarracin. Dans une vidéo non dénuée d’humour, Jérémie Danon & Kiddy Smile nous invitent à suivre les conversations de jeunes gens sur le thème de la représentation et de l’invisibilisation des corps racisés. Il faut ensuite passer entre les bannières colorées sur lesquelles le griot Bocar Niang a écrit en quatre langues les mots glanés au cours de ses rencontres, comme une sorte de dictionnaire visuel multicolore. Sofia Salazar Rosales, au travers de ses sculptures, représente les enjeux économiques et politiques liés aux mobilités, tout en s’inspirant de souvenirs familiaux en Équateur. Mona Cara, avec sa tenture suspendue, tissée au fil de ses rencontres dans différents territoires de la région, retrace dans un langage joyeux aux couleurs vives les histoires des habitués d’un bistrot de quartier et célèbre le « vivre ensemble ». Juliette Green exalte aussi la beauté des échanges dans les trains, avec ses diagrammes textuels. L’abri hors du temps d’une blancheur immaculée au sol bleu pâle clairsemé d’étoiles de Victoire Inchauspé nous accueille pour nous emporter dans une barque vers un ailleurs chargé d’espoir.
« La musique adoucit les mœurs et rassemble » dit le proverbe. Le compositeur Bastien David invite le public à un partage d’expériences musicales en jouant sur sa « rivière de bouteilles » afin de produire le chant des sirènes. Dans la deuxième halle, Oliver Beer nous ramène à l’origine de l’humanité et fait chanter une grotte du paléolithique en Dordogne avec une invitation envoyée à 8 chanteurs de différentes contrées qui ont, dans un espace choisi de la caverne où l’acoustique est la meilleure et ce en regard des peintures pariétales, réitéré leur premier souvenir musical. Par superposition subtile de ces mélodies, l’artiste crée une polyphonie magique et envoûtante accordée autour d’une note diapason.
L’ancien hospice du Grand Hôtel-Dieu, superbe lieu baroque et spirituel où aurait exercé Rabelais, accueille des artistes qui traitent des rituels liés au soin et au cycle de la vie. Hajar Satari entremêle histoires intimes et conscience des bouleversements de l’écosystème avec une sculpture incantatoire relative à la disparition de l’eau dans sa région d’Ispahan. Florian Mermin convoque nos sens avec une violette qui embaume l’apothicairerie. Des installations musicales sont activées par l’artiste guérisseur Guadalupe Maravilla qui invite à une méditation curative.
Au MAC, les espaces intimes sont propices à parler des contacts humains et plus particulièrement d’amitié, d’amour et des relations qui se nouent et se délient entre les êtres. Chantal Akerman ouvre le parcours avec un film explorant la question de la relation à soi et du regard des autres. Christian Boltanski et Annette Messager, figures tutélaires de la biennale, évoquent leur voyage de noces à Venise sous le prisme d’une mosaïque d‘images clichées. Jesper Just parle de la solitude qui se mue en solidarité, d’une virilité qui devient vulnérabilité. Plus empreints de politique sont les dessins de Tirdad Hashemi & Soufia Erfanian qui retracent leur quotidien et celui de leurs ami.es en exil ainsi que les scènes de révoltes en référence aux manifestations à Téhéran. Ou encore Taysir Batniji qui nous prend par la main pour une traversée de Gaza dans l’obscurité, puis nous fait pénétrer dans une pièce où les murs sont tapissés d’images représentant des trousseaux de clefs qui ne permettent plus aucun accès aux maisons détruites ou abandonnées dans l’urgence sans espoir de retour.
A l’IAC de Villeurbanne, dix artistes émergents, pour moitié en lien avec la région et pour moitié issus de la scène internationale, abordent des questionnements sociétaux. Shivay la Multiple rend hommage au fleuve, entité politique nourricière et spirituelle, sous la forme d’un conte initiatique où la calebasse porteuse de traditions est omniprésente. Hilary Galbreath, sur le thème de l’hospitalité, nous plonge dans l’atmosphère intime de chambres d’hôtel où les récits du personnel recouvrent les lits. Matthias Odin évoque son propre vécu de nomade, hébergé au gré de ses rencontres par des âmes charitables, et dresse une cartographie affective en nous proposant une promenade au sein d’une architecture de l’intime tout en soulignant la précarité de logement pour certaines populations.
« L’altérité est le sel de la vie » conclut la commissaire, dans un dernier clin d’œil au transport fluvial du sel jusque dans les vallées alpines à une époque révolue.

 

Info

Biennale d’art contemporain de Lyon
Les voix des fleuves – Crossing the water
Du 21 septembre 2024 au 5 janvier2025