boycore monde à Malakoff

Par Xavier Bourgine4 octobre 2024In Articles, 2024

 

 

Comme chez Aragon, tout part de la puissance de l’incipit, quand Samuel Marin Belfond décide d’imaginer ce que serait le monde si les minorités sexisées « se levaient et se cassaient ». Creusant l’idée, il fait appel à Samy Lagrange, spécialiste de l’histoire des masculinités, et à Corentin Darré, qui pour la première fois s’attelle à un travail d’écriture sans visée plastique, et à vrai dire absent : car de ce monde déserté et de ceux qui l’ont déserté, seules des traces sont visibles. Aux spectateurs de mener l’enquête.

Au gré d’une scénographie proche de l’escape game où l’humus rencontre le post-humain, les pistes semées relèvent le défi d’une exposition qui prend moins la forme de l’accrochage d’œuvres que de la restitution d’une science-fiction spéculative, et évite le risque de laisser en orbite un public peu familier des propositions expérimentales et moins encore des théories queer.
Que montrer d’un travail d’écriture nourri par plus de 300 références livresques ou académiques pour que la puissance de la fiction joue à plein ? Après avoir mené l’enquête autour des faits et gestes incompréhensibles d’un peintre sans œuvre, Jean Le Gac s’étant vu proposer en 1972 de participer à la documenta 5 par Harald Szeemann, se trouve confronté à la même question : que montrer d’un récit dont le sens tient à ses non-dits ? Il imagine alors d’en recueillir les traces photographiques et textuelles dans 26 Cahiers.

De même, les auteur.ices proposent ici, plus qu’une archéologie du futur, une archive du futur, à base de multiples documents imprimés. Tapissé d’affiches façon ateliers des Beaux-Arts en 68, un sas évoque le travail de propagande mené par les Gokistes, entre 2033 et 2039, pour convaincre les personnes sexisées de rejoindre l’aventure de l’estivage, transhumance intersidérale qui restera mystérieuse. Plus loin, des flyers contiennent les témoignages écrits par Corentin Darré de ceux qui sont partis. Quant à celles et ceux qui sont resté.e.s, créant une société majoritairement masculine et hétéronormée, ils n’ont plus recours qu’à une forme hackée par Morgane Baffier de girlfriend AI pour assurer leurs besoins sexuels et reproductifs.

Car c’est bien à ceux-là qu’il s’agit de s’intéresser, voire de s’identifier, pour mieux faire retour sur soi-même. L’inaccessibilité du lore est à l’image de cette non-imposition de problématique, de même que la scénographie d’otto + gata, qui intègre au parcours d’enquête les modules permanents low-tech et éco-conçus pour le centre d’art contemporain de Malakoff. La champignonnière, la cuisine, la cabine-vinyle deviennent autant de passerelles entre le monde de ceux qui sont partis et celui de ceux qui sont restés, stations d’un chemin d’interrogation de la masculinité.

Dans sa vidéo, Samuel Marin Belfond superpose des extraits captés sur les réseaux ou dans les animes, soulignant la force des stéréotypes qui façonnent jusqu’aux attitudes de genres, mises en lumière par la performance chorégraphiée de Mawena Yehouessi. Au prisme de son expérience d’éducateur, où il veille à ne pas antagoniser des adolescents parfois très imprégnés d’une culture masculiniste, Samuel Marin-Belfond développe ainsi un voyage dont la carte des références, proposé par Ellis Laurens sous forme de mind-mapping, reste délibérément ouverte.

 

 

Infos

boycore monde : « ceux qui sont restés »
Du 21 septembre au 14 décembre 2024
Site Maison des arts de Malakoff
105 avenue du 12 février 1934, Malakoff