Kokou Ferdinand Makouvia, d’un continent l’autre

Par Zoé Monti3 octobre 2024In Articles, 2024

 

 

Infatigable voyageur, Kokou Ferdinand Makouvia se nourrit de ses explorations du monde pour enrichir sa pratique artistique, toute de liens tissés entre matérialité et sensibilité. À l’occasion d’une exposition personnelle que lui consacre l’Espace d’art contemporain Camille Lambert cet automne, retour sur l’envolée d’un parcours à l’international.

Pendant ce temps-là, dans le nœud des rêves troglodytiques est une exposition dont seul l’artiste a le secret. Présentée au centre d’art de Juvisy-sur-Orge, elle plonge spectateurs et spectatrices dans un univers aussi familier qu’inconnu. En nous invitant à prendre place sous un arbre à palabres fait de câbles électriques et d’étranges fruits de lumière en résine, Kokou Ferdinand Makouvia souhaite mêler ses rêves aux nôtres. À travers un parcours composé d’entités matérielles et spirituelles, habité de présences visibles et invisibles, de forces en tension et d’œuvres en dialogue, l’exposition retrace un cheminement artistique en forme de main tendue, cherchant obstinément à (ré)concilier l’ici et l’ailleurs : soi et l’autre, le proche et le lointain, la mémoire des origines et l’histoire de leur effacement, la spiritualité des ancêtres et la philosophie à venir – ce tout indissociable qui compose chaque être humain, le fragmente, et avec lequel il faut, avec rage et tendresse, inlassablement vivre.

Arrivé en France en 2014, l’artiste sillonne bientôt l’Europe. Il se forme aux Beaux-Arts de Valenciennes, puis de Paris, où il obtient son DNSAP en 2019, cinq ans après le début de ses études d’art à Abidjan. C’est ensuite à Amsterdam qu’il s’installe pour trois années, où il intègre la prestigieuse résidence De Ateliers, un programme international qui vise à accompagner des artistes en début de carrière.

Non content d’avoir enfin un « atelier à soi », il se tourne cependant vers la nature et le dehors, intéressé depuis longtemps par les fondements du land art. Le Kunstfort de Vijfhuizen – un ancien fort du XIXe siècle transformé en centre d’art contemporain, à l’origine destiné à protéger Amsterdam d’une hypothétique invasion ennemie grâce au contrôle stratégique du niveau de l’eau et à l’utilisation de la flore – lui donne carte blanche pour créer une installation extérieure. Il dresse sur l’eau et l’île artificielle, sur laquelle le fort est érigé, ses sculptures de terre, de branches, de sable et de cailloux, telles des sentinelles veillant à leur tour au rétablissement de l’ordre naturel des choses.
Aujourd’hui représenté par la galerie Sator, il y a déjà présenté deux solo shows, des expositions-narrations où chaque œuvre s’articule comme la partie d’un tout organique, célébrant autant la matière que le sensible.

Le continent vers lequel Kokou Ferdinand Makouvia tourne par la suite son regard, c’est celui outre-Atlantique. Il pense aux États-Unis, où l’une de ses œuvres a déjà été présentée à la foire 1-54 en 2019, alors que l’artiste s’était vu refusé son visa. Qu’à cela ne tienne !
En 2021, il est le récipiendaire du Salomon Foundation Residency Award et accède ainsi en 2023 à six mois de résidence à l’ISCP, l’International Studio & Curatorial Program de New York. Là, il continue sa pratique de la performance impromptue dans la rue et s’entiche d’un nouveau matériau, le feutre. Equipé pour l’occasion d’une machine à coudre, il explore toutes les caractéristiques de l’étoffe et les propriétés du tissu afin de créer des œuvres monumentales à l’allure de coraux, de fossiles ou encore de stalactites. Le sculpteur renforce sa philosophie : faire de la résistance du matériau une force créatrice, du hasard un défi personnel, de l’accident une réponse de la matière à intégrer à l’œuvre.

Enfin, l’Afrique n’est pas en reste. Désireux de se rapprocher de l’ébullition artistique du continent, Kokou Ferdinand Makouvia retourne régulièrement au Togo. Avec la chercheuse et sculptrice Juliette Delecour, il cofonde la résidence ArtMéssiamé, qui vise à faire se rencontrer des artistes travaillant en Europe et d’autres œuvrant en Afrique. Après une première résidence itinérante au Cameroun, dans le centre d’art Bandjoun Station créé par Barthélémy Toguo, ArtMéssiamé s’apprête à inaugurer sa 5e édition en novembre 2024.
Il participe également à diverses manifestations d’importance sur le continent, notamment en 2022, où il expose à la Biennale de Dakar et à la Congo Biennale de Kinshasa.

Basée sur la redécouverte et l’exploration incessante de la culture qui l’a vu naître, sa démarche prend une nouvelle dimension quand il décide pleinement de renouer des liens étroits avec sa terre natale. C’est dans ce sens qu’au début de l’année, il lance Ɣli Maɖo Vɔvɔli (Le Cri sans ombre) et s’engage dans un projet d’art total mettant à contribution un village entier, Ekpui, autour d’un savoir-faire en péril : le tissage des kéti, les tiges de jonc. Il travaille avec une quinzaine d’artisanes, ultimes détentrices d’une technique de vannerie réclamant habileté et patience. Pendant plusieurs semaines, elles tressent des kévi, paniers que l’artiste rassemble ensuite en de gigantesques sculptures zoomorphiques exposées sur les bords du lac Togo. La première édition ayant été une réussite, la résidence et l’exposition seront reconduits en 2025…

Il reste à l’artiste la certitude d’un avenir ouvert à la découverte de territoires jusqu’alors inconnus, un futur également propice au renouvellement du regard qu’il porte sur l’horizon de ses terres familières.

 

Infos
Pendant ce temps-là, dans le nœud des rêves troglodytiques
Exposition personnelle du 5 octobre au 7 décembre 2024
École et Espace d’art contemporain Camille Lambert, Juvisy-sur-Orge

Nous, aux vents incertains, exposition collective
Du 8 novembre 2024 au 9 février 2025
Musée national de l’Immigration-Palais de la Porte Dorée, Paris

Exposition personnelle à L’Abbaye-Espace d’art contemporain, Annecy
Du 17 janvier au 13 avril 2025