Isabelle Bertolotti, macLYON : la fabrique de la Biennale !
Malgré un budget en baisse, la motivation de la directrice artistique de la prochaine Biennale d’art contemporain de Lyon, Isabelle Bertolotti, par ailleurs directrice du macLYON, est à son maximum après avoir fêté les 40 ans de l’institution. Elle s’associe à Alexia Fabre, directrice de l’Ecole Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris pour mener à bien l’aventure avec un nouveau lieu : Les Grandes Locos, précédemment dédié à la réparation des locomotives de la SNCF.
Si 70 artistes internationaux seront réunis autour de la thématique des « Voix des Fleuves » et de l’hospitalité, comment engager les moyens d’un tel dispositif, répartir les artistes sur les différents sites, trouver le mécénat nécessaire ? Autant de défis dont elle nous décrit toutes les implications. Si l’ADN du macLYON s’inscrit dans cette histoire de la création, la Biennale est partie prenante de son rayonnement et sa spécificité à la fois locale et internationale.
Au macLYON sont actuellement présentées trois expositions autour de l’idée de la collection : un choix d’œuvres de la collection de la Fondation Antoine de Galbert, une sélection d’œuvres du British Council sur le thème de l’amitié et une exposition de Sylvie Selig, dont une toile de 140 mètres de long, River of No return, acquise grâce à une souscription publique.
Marie de la Fresnaye : Revenons sur l’historique du macLYON et de la Biennale
Isabelle Bertolotti :
A l’époque, aux côtés du Musée des Beaux-Arts, existait un premier centre d’art, l’Elac (Espace lyonnais d’art contemporain), dans le quartier de Perrache, et un autre lieu qui était communément appelé le Nouveau Musée, à Villeurbanne, devenu plus tard l’IAC — Institut d’art contemporain. Le terreau était donc fertile sans qu’il y ait de concrétisation réelle sur le plan muséal. L’idée a été de constituer un musée puis, plus tard, de le construire. Le Palais Saint Pierre, qui accueillait le Musée des Beaux-Arts, a d’abord offert une aile au musée. Assez vite, la collection s’est constituée grâce au fort soutien du Ministère de la culture de l’époque et par une politique d’acquisitions ambitieuse du musée. Thierry Raspail avait la volonté d’acquérir des œuvres qui étaient exposées, ou produites parfois, qui constituent l’ADN du musée. Plusieurs artistes ont fait des dons et ainsi la collection s’est enrichie. L’idée de la Ville de Lyon était que le directeur du musée soit le directeur de l’Elac et d’un festival nommé Octobre des arts, sorte de prélude à la Biennale d’art contemporain.
En 1991, suite à la dernière édition du festival, une biennale a émergé à la Halle Tony Garnier, fondée par Thierry Raspail avec un co-commissariat par Thierry Raspail et Thierry Prat, alors adjoint au conservateur. Cela a été le point de départ des biennales qui se sont succédées jusqu’à aujourd’hui. Une fois le constat fait de la nécessité d’un bâtiment spécifique, cela a été assez compliqué d’en délimiter les contours avant que n’émerge le grand projet de la Cité internationale de Renzo Piano qui incluait le musée selon une pensée globale. Le macLYON s’inscrit dans la seule façade conservée de l’atrium du Palais de la foire de Lyon des années 1920. Renzo Piano a conçu un musée sobre et humble sur la base d’un fragment d’architecture qui n’est pas de sa main mais qui s’inscrira dans un ensemble pensé et conçu par lui comme un musée vivant avec et pour les artistes, véritable outil offrant des accès directs sur chaque niveau, un immense élévateur qui permet de faire monter des installations, comme The Van (1977) de Marina Abramovic et Ulay ou encore la sculpture Shufu (Comfortable) (2004), un mini-bus chinois transformé en machine à laver réalisé par l’artiste Xu Zhen. Ces possibilités ont été la marque de fabrique du musée avec cette idée d’œuvre pouvant occuper un étage entier (1000m²). La présence d’œuvres monumentales au sein des collections peut toutefois rendre difficile l’exposition des collections permanentes, en ce que l’échelle importante de certaines œuvres freine le nombre d’œuvres montrées et leur variété.
MdLF : Quel est pour vous le rôle d’un musée ?
I.B : Le musée offre un soutien aux artistes en tant que catalyseur d’idées et de formes : il permet aux artistes la production d’œuvres nouvelles, comme le ferait un centre d’art, tout en intégrant une réflexion sur la durabilité dès la conception d’œuvres qui parfois entrent dans les collections. La question est alors de penser les dimensions des œuvres en rapport aux espaces du macLYON par exemple, et de prévenir leur conservation dans les réserves. Cela induit de nouvelles façons de concevoir et de travailler. Le macLYON est aussi un espace de résidence, à la fois de création et de production, qui dans le même temps constitue sa collection, en adéquation avec le contexte actuel qui soulève entre autres des enjeux écologiques et d’écoconception pensés en lien avec les artistes. Je suis persuadée que l’environnement influence les productions. Nous l’avons constaté par exemple avec l’artiste Maxwell Alexandre, originaire du Brésil, qui, une fois entré au macLYON, a totalement changé sa façon de peindre. L’accompagnement des artistes se fait régulièrement tout au long de leur carrière et ce dès leur sortie des écoles. Nous nous inscrivons dans un certain nombre de collaborations car nous aimons faire des croisements transdisciplinaires entre des arts comme la musique, la danse, etc.
MdlF : Quelle a été la motivation de confier le commissariat de la Biennale 2024 à Alexia Fabre ?
I.B : Nos liens remontent à plusieurs années. J’ai toujours suivi ce qu’elle menait au sein du MAC/VAL à Vitry-sur-Seine, qui représentait une référence pour moi en termes de résidence, de production artistique et de lien avec le territoire. J’avais souhaité qu’elle soit la prochaine commissaire. Je l’ai invitée à venir à Lyon avant la fin de la dernière Biennale afin qu’elle puisse mieux évaluer mes demandes sur place et que nous puissions évoquer ensemble un certain nombre de points que je souhaitais voir modifier ou améliorer.
Les conditions d’ancrage dans le territoire sont aussi importantes pour la Biennale qui n’est pas qu’une exposition mais bien une manifestation qui prend en compte la réalité locale pour influencer la création des artistes que ce soit via des productions avec des entreprises locales, un intérêt pour l’histoire et le patrimoine, les savoir-faire, comme avec l’artiste Mona Cara qui s’est intéressée à la dentelle à Brioude dans la région Auvergne-Rhône-Alpes mais aussi à la technique du jacquard. Des collaborations multiples ont lieu avec des entreprises ou des associations autour des techniques et de l’ingénierie locale. Cette implication sur le territoire et ce travail avec des acteurs de proximité fait l’ADN de la Biennale de Lyon.
MdlF : Quels sont les nouveaux lieux cette année en écho avec la thématique ?
I.B : L’importance est le parcours que nous proposons avec la découverte à chaque fois de nouveaux lieux, comme précédemment le Musée Guimet. Cette fois nous présenterons des œuvres in situ à la Cité de la gastronomie – Grand Hôtel-Dieu, ancien hôpital dans lequel Rabelais a exercé. Cela rejoint la thématique du rapport à l’autre, de l’hospitalité, de l’envie d’être ensemble. Des rites autour du repas, du partage, sont pleinement en adéquation avec le sujet. A ce lieu s’ajoutent Les Grandes Locos, ancien technicentre de la SNCF dédié à la réparation des locomotives, qui fait écho à la notion de soin mais aussi de soulèvement et de collectifs et à la présence de syndicats. La question de l’être-ensemble et du fleuve qui partage Lyon du Nord au Sud, agit comme une métaphore du lien et des traces du passé avec par exemple le transport de sel par bateau, qui se faisait jusqu’aux Alpes. Cette question du sel est reprise par un certain nombre d’artistes, comme par exemple Alix Boillot qui réalise une œuvre à partir de lacrymatoires – ces fioles funéraires dont on a longtemps pensé qu’elles étaient destinées à recueillir les larmes des proches des défunts mais contenaient, en fait, les substances destinées aux soins lors des rites funéraires – qui contiendront du sel et de l’eau.
MdLF : Comment s’est fait le choix des artistes ?
I.B : Nous travaillons principalement à partir de la liste composée par Alexia Fabre qui comprend de nombreux·ses artistes dont je connais déjà bien le travail. Elle m’a fait découvrir de nouveaux artistes qu’elle côtoie et nous avons voyagé ensemble (Liverpool, Belgique…) et rencontré des artistes ou des structures. Nous envisageons des co-productions (œuvres ou projets) avec d’autres lieux, par exemple avec la Biennale de Kaunas (Lituanie). Nous l’envisageons aussi avec Manifesta à Barcelone cette année, un train direct reliant nos deux villes, ou Coimbra au Portugal. Nous sommes en discussion aussi avec l’Arménie, l’Inde…
MdlF : Quelle est la répartition des artistes sur le parcours ?
La très jeune création sera montrée à l’IAC, qui présentera cinq artistes ayant un lien avec notre région et cinq venant d’autres horizons. Le reste gravite autour des sous-thématiques suivantes : l’amour, la famille, les liens affectifs. Le macLYON offre de son côté des conditions de monstration favorables à des œuvres plus anciennes ou fragiles.
A la Cité internationale de la gastronomie, nous présenterons un ensemble d’œuvres autour des rites et des rituels : le repas, le partage, tous médiums confondus, y compris la performance.
Aux Grandes Locos, nous exposerons des œuvres moins sensibles à l’hygrométrie avec des volumes très importants sur plus de 20 000m². S’il s’agit d’un projet d’ampleur et d’un vrai défi pour les artistes de s’emparer du lieu, nous disposons d’une équipe en capacité de créer ces conditions.
MdlF : Quel est votre budget ?
I.B : Le budget de huit millions d’euros est un budget en baisse par rapport à l’édition précédente. Nous coproduisons beaucoup avec les entreprises locales par des dons en nature, mais pour maintenir des conditions de travail suffisantes notamment sur un site tel que Les Grandes Locos, nous devons engager beaucoup de frais en amont, que ce soit pour la sécurité, le chauffage, … avant d’arriver à la question de l’œuvre. Cette baisse de budget est notamment due à une baisse générale du mécénat et nous faisons face en parallèle à une montée des coûts. Il n’est pas évident de maintenir des productions. Nous avons des soutiens en nature provenant de mécènes qui aiment être partie prenante d’un projet. C’est une forme de collaboration intéressante qui se fait à tous les niveaux. L’artiste peut ainsi apprendre des techniques et tester des processus. Les collaborations peuvent se faire autour de l’impression sur un textile spécial, du transport, de savoir-faire très différents en fonction des projets.
MdlF : Retour aux expositions actuelles au macLYON, notamment l’invitation à Antoine de Galbert :
I.B : Antoine de Galbert est un collectionneur originaire de Grenoble, très actif sur le territoire local, qui a fait plusieurs donations, notamment une importante donation de coiffes au musée des Confluences, une donation de photos au musée de Grenoble et une exposition au Musée des Beaux-Arts lors de la Biennale de 2011. De plus, il a acquis les œuvres d’un certain nombre d’artistes de la région dont certains de notre collection. Cela nous intéressait d’avoir son point de vue de collectionneur dans cette saison autour de la question des collections, (avec notamment celle du British Council présentée actuellement au 3e étage, aux côtés de la collection du macLYON) et de faire découvrir l’un des aspects de sa collection privée singulière. Même si nous ne montrons que 10% de sa collection, nous y consacrons près de 1000m².
Une autre forme de collection est celle de Sylvie Selig qui a gardé ses œuvres toute sa vie pour ne les montrer que maintenant. Ces expositions ne peuvent pas forcément se montrer ailleurs de par la monumentalité de certaines œuvres : les requins de Damien Deroubaix, la grande verrière de Stéphane Thidet, la constitution d’un cabinet de curiosités ou une arène de sculptures. Une certaine déambulation est permise par la scénographie entièrement pensée à partir des œuvres. Il pouvait trouver un écrin à ces œuvres dont certaines ne sont pas toujours faciles à montrer dans un contexte de bâtiment classique. C’est le cas avec la formidable installation The Collapsing of the Time and Space in an Ever-expanding universe (2011) de Kent Monkman artiste autochtone canadien, remontée par nos soins.
MdlF : L’acquisition d’une œuvre monumentale de Sylvie Selig est une aventure hors norme
I.B : Nous espérions recueillir 80 000 euros sous la forme de dons et avons réussi à recueillir 85 000 euros, un objectif financier atteint, doublé d’une implication d’un grand nombre de personnes, ce qui était notre intention pour ce projet, que des personnes qui n’étaient pas forcément familières avec l’art de Sylvie Selig ni même avec l’art contemporain puissent participer à cette acquisition. L’aventure que nous avons proposée était de dérouler l’œuvre au fur et à mesure de la récolte des dons, ce qui fut assez incroyable ! Un rêve concrétisé en direct pour une toile initiée dès 2012. Trois années auront été nécessaires pour réaliser cette peinture magistrale de 140 m de long que personne n’avait jamais vu en entier, pas même l’artiste ! Nous sommes fiers d’exposer la plus grande peinture au monde faite par une femme que nous sommes pour l’instant les seuls à avoir exposée. Nous aimerions que l’œuvre circule et que cette histoire de 3 personnages qui s’embarquent sur une rivière et découvrent tout l’art du XXème siècle au gré d’événements se partage avec d’autres musées. Cette traversée renvoie également au thème de la prochaine Biennale intitulée « Les voix des fleuves, Crossing the water« , avec ces fleuves, leurs connections et ces connaissances qui vont s’agréger peu à peu par la conjonction des rencontres. Comme une rivière qui s’emporte et s’emballe !
Entretien réalisé par Marie de la Fresnaye.
Infos pratiques :
17ème Biennale de Lyon
« Les voix des fleuves, Crossing the water »
Du 21 septembre 2024 au 5 janvier 2025
Commissaire invitée Alexia Fabre, directrice des Beaux- Arts de Paris
macLYON :
Sylvie Selig, River of no return
Désordres, Extraits de la collection Antoine de Galbert
Friends in Love and War
Du 8 mars au 7 juillet 2024
Musée d’art contemporain
Cité internationale
81 quai Charles de Gaulle, Lyon