AKAA 2023: Others shall come

Par Catherine Duparc20 octobre 2023In Articles, 2023

 

Une nouvelle étape se dessine pour la foire AKAA, rendez-vous incontournable de la scène africaine contemporaine. Pour sa huitième édition au Carreau du Temple, 129 artistes et designers du continent africain, des diasporas ou afro-descendants sont invités, représentés par 38 galeries internationales. Armelle Dakouo, la directrice artistique, s’est entourée de partenaires prêts à bousculer le regard porté sur les pratiques artistiques d’un continent.

Forte d’un comité de sélection élargi autour de la galeriste Anne de Villepoix, de la directrice de la Cité des Arts, Bénédicte Alliot, et de la curatrice Ifeoma Dike, la foire réunit des galeries de divers horizons, majoritairement européennes, mais également africaines. On salue l’arrivée d’une galerie américaine de Los Angeles (Band of Vices) et d’une galerie israélienne (Africa First). Les artistes africains côtoient les artistes des diasporas ou des artistes occidentaux questionnant le rapport à l’histoire de la colonisation ou des migrations comme les sœurs Chevalme, installées à Saint Denis. Pour la première fois, AKAA confie l’installation monumentale à un commissaire invité, Fahamu Pecou, artiste, chercheur interdisciplinaire et fondateur d’ADAMA (African Diaspora Art Museum of Atlanta). Il présente une œuvre de l’artiste jamaïcain Cosmo Whyte qui vit et travaille à Los Angeles. Pour son curateur, l’installation vise à « rassembler les morceaux disloqués de la subjectivité noire, à les reconnecter à leurs racines et à repenser un avenir axé sur la libération et l’autodétermination ».

L’affiche choisie pour cette édition a valeur d’affirmation. Extraite d’une pièce textile de l’artiste hawaïenne April Bey, elle propose dans une végétation luxuriante un personnage éblouissant, équipé de lunettes réfléchissantes. L’artiste, représentée par la 193 Gallery (Paris), fait l’objet d’un solo show après avoir été montrée dans une scénographie collective, pensée par Roger Bakus autour de la construction d’une identité, sous le titre We are enough. Ses grandes pièces, mélange de tapisserie jacquard et d’empiècements textiles, offrent une vision de la femme afro-américaine émancipée, dans une représentation du corps loin des clichés de l’exotisme.

Dans ce registre textile, les pièces de l’artiste zimbabwéenne Georgina Maxim, fabriquées à l’aide de vêtements portés par l’artiste ou récupérés comme une mémoire fantomatique du corps, ont une tonalité tout autre, méditative, intemporelle, spirituelle. L’artiste, présentée par la galerie 31 Project, rencontrera sans doute quatre artistes zimbabwéennes invitées par le curateur et artiste sud-africain Richard Mudaraki. Celui-ci promet de représenter « une génération de femmes artistes visuelles qui parlent de manière forte de leur nation – leur peuple, leurs rêves, leurs défis, leurs espoirs et leurs valeurs morales – à travers leurs œuvres ».

Cette année, le Cameroun est à l’honneur avec la participation de l’Institut français du Cameroun et de Bandjoun Station, la résidence d’artistes et centre d’art créés par Barthélémy Toguo qui, sous le commissariat de Carine Djuidje, présente huit jeunes artistes camerounais. Le mécénat d’un artiste reconnu sur la scène internationale s’associe donc aux ressources d’une diplomatie culturelle française forte du solide réseau des instituts français à l’étranger. Entre scènes nationales et scènes de diasporas des maillons se créent.

Aujourd’hui, à travers les rencontres associées à l’évènement, la foire met l’accent sur des pratiques curatoriales qui éclairent les processus de création, l’engagement politique, la pensée philosophique, le rapport à l’œuvre. « D’autres viendront … », le thème retenu évoque l’émergence de nouvelles écritures permettant de penser l’histoire de l’art et la création contemporaine africaine dans une vision intégrant sa dimension historique et politique. Dans un monde globalisé, de nouveaux concepts comme l’intersectionnalité, la mangrovité sont-ils éclairants ? Artistes, curateurs, penseurs, professionnels de l’art sont appelés à s’exprimer et débattre dans un forum.

Après la cérémonie d’ouverture festive au Carreau du Temple, à l’image d’une culture africaine qui se donne à voir comme performance dans une société du spectacle, place à l’analyse, une vision plus réflexive, engagée mais tout aussi nécessaire. On retrouvera l’esprit de partage qui a fait le succès d’Ubuntu, l’exposition au Palais de Tokyo, curatée par Marie-Anne Yemsi. Celle-ci avait pour fil conducteur ce concept d’humanité et de fraternité de la philosophie africaine. L’ouvrage édité à l’occasion de la foire, réunissant les signatures d’Armelle Dakouo, Jeanne Mercier et Allison Glenn, s’annonce comme un must-have de tout amateur averti.

Illustration de ce cycle de rupture-continuité pour sa curatrice Clara Francese, l’installation de l’artiste marocain RJ, qui se veut écoresponsable comme son sponsor Veolia, recycle de vieux pneus et les transforme en roues évoquant le mouvement de la vie dans un défi écologique global que l’on peut interpréter aussi comme un nouveau souffle pour le continent. Le titre de la performance de Ras Sankara, Tuer la peur, tout comme celui de l’installation de VRLa page n’était pas blanche, augurent-ils d’un passage de témoin, d’un changement générationnel attendu avec l’émergence de nouveaux commissariats comme de nouveaux collectionneurs, issus du continent africain, de ses diasporas ou d’ailleurs ?

 

AKAA, Also Known as Africa

Art & Design fair

19-22 Octobre 2023

Le Carreau du Temple, Paris