La Biennale d’Issy fête ses 30 ans

Par Marie Gayet16 octobre 2023In Articles, 2023

 

Pour sa 15eme édition, la biennale explore le monde vaste et insaisissable du rêve. Au sein de la remarquable collection du Musée de la carte à jouer, les deux commissaires d’exposition Sophie Deschamps-Causse et Anne Malherbe présentent Le rêve a ses raisons avec 55 propositions d’artistes de générations et médiums différents.

Depuis sa création, la Biennale d’Issy a pour principe de présenter des artistes sélectionnés par un jury après un appel à candidatures avec des artistes invités à la carrière établie. Aux côtés du petit théâtre optique de Pierrick Sorin, habité par un clone facétieux mais résigné, d’un super héros désœuvré de Gilles Barbier ou du diptyque aquatique de Marc Desgrandchamps, pour ne citer qu’eux, cette année, les deux commissaires ont souhaité faire participer des étudiants de l’École nationale supérieure des arts appliqués et des métiers d’art Olivier de Serre : une manière plus ouverte de mettre en regard la diversité de pratiques contemporaines (peinture, dessin, céramique, sculpture, photo, vidéo, installation et réalité virtuelle).

Du sommeil au cauchemar, de la rêverie à l’inquiétante étrangeté, des méandres de la psyché aux images mentales, avec en exergue la phrase de Shakespeare « Nous sommes de l’étoffe dont sont faits les rêves et notre petite vie est entourée de sommeil » (La Tempête), la sélection traverse de nombreux aspects du champ sémantique du rêve. Le parcours prend des chemins de traverse et procède par associations libres, jeux de l’inconscient… Des correspondances poétiques s’établissent, coomme entre l’installation des tissus blancs sculptés aux formes indéfinies d’Emma Nony, suspendus dans les airs tels des esprits flottants, et le grand dessin au fusain de Justine Joly représentant un matelas posé au sol dont les draps et l’oreiller portent encore les traces du corps absent. Si les étoffes gardent les secrets dans leurs plis, elles peuvent aussi étouffer, et symboliquement, comme dans la toile de Katia Bourdarel, titrée justement Narcisse #3, empêcher l’image de soi de se voir.

Depuis Freud,on sait que le rêve dit quelque chose de la vie intérieure mais de manière détournée. La plupart des œuvres reposent sur cette ambiguïté. Ainsi n’est-on jamais sûr de ce qui nous est donné à voir. Une gisante ou une femme seulement endormie pour L’Allongée, dessin sur faïence de Delphine Grenier ? Une menace latente (Eric Corne) ou à venir (Marcos Carrasquer) ? Une maison détruite dans le fond d’une piscine ou simplement le reflet trouble du paysage dans un temps suspendu (Duncan Wylie) ? Des images souvenirs ou des images fantômes (Iris Gallarotti) ?

Installées à l’extérieur, les échelles blanches de Marjolaine Dégremont forment une ronde bien peu stable. Seul l’imaginaire peut y poser le pied ! A la léthargie et au monde flottant de certaines œuvres (Pat Andréa, Ayako David-Kawauchi,) d’autres au contraire opposent et imposent un sentiment d’urgence ou de tragédie, comme la fulgurance picturale du lit de Karine Hoffmann, le chaos chromatique Christine.Guinamand, ou l’autoportrait psychotique de Sandra Ghosn. A l’inverse, les dormeurs et dormeuses photographié.e.s dans leur sommeil par Sandra Matamoros ont l’air paisibles.  A quoi rêvent-Ils ? D’un paysage onirique et surdimensionné comme celui où sommeille la femme de L’Azur et l’onde (Barbara Navi) ? D’une plongée virtuelle dans le labyrinthe d’une boîte crânienne (Jeanne Susplugas) ? D’une architecture sans murs (Junseok Mo) ? Du changement des nuages (Anne Vignal ? D’un loup sorti d’un conte (Nadou Fredj) ? Auront-ils envie de noter leurs rêves quotidiennement comme Catherine Geoffray ?

Seules à s’être véritablement infiltrées dans les collections du Musée, les deux grandes cartes du Tarot sur miroir de l’artiste libano-canadienne Mouna Rebeiz, La Lune et le Divin, révèlent, paraît-il, les vérités. Si le rêve de nos jours a perdu son caractère divinatoire, il n’en reste pas moins un espace de visions. Plus simplement, Chimera, la grande Bleue de Léa Dumayet et Marguerite Bornhauser invite à rêver dans un temps suspendu, les yeux ouverts.

D’autres artistes non cités ici sont à découvrir dans cet inventaire du rêve aux imaginaires pluriels.

 

La Biennale d’Issy,

jusqu’au 12 novembre

Musée français de la carte à jouer

16 rue Auguste Gervais, Issy les Moulineaux