mountaincutters - Alchimistes intemporels

 

Sous le nom de mountaincutters, terme non genré, pluriel et anonyme, se cachent deux jeunes artistes qui abordent des questions liées au territoire, à l’architecture, à l’écologie et à la notion du care. Si la première partie du mot « mountain » est une référence à la géologie et au sol, « cutters » est une allusion directe au geste et à l’acte de faire et réagir avec ce qui les entoure.

Ces artistes s’approprient les espaces dans lesquels ils sont invités, et s’en imprègnent afin de construire des paysages de formes où dialoguent sculptures, textes, dessins et images.

Comment générer une fiction et une histoire dans un lieu incarné ? Au Creux de l’Enfer à Thiers, où j’ai découvert leur travail en 2019, ils avaient investi une friche industrielle transformée en centre d’art, pour y créer une narration à l’aide d’objets abandonnés ou transformés et de matériaux récurrents dans leur pratique tels le métal, le verre, la pierre extraite dans les environs, et l’eau prélevée dans la rivière toute proche.

« Que s’est-il passé ? Que va-t-il se passer ? » interroge le philosophe Jean Luc Nancy.

Au spectateur de percevoir l’écho d’activités passées, évoquées au travers d’indices disséminés, et d’imaginer une possible fiction. Pour les mountaincutters « rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme » citant la théorie de Lavoisier. Spolia, titre de leur exposition co-réalisée avec Guillaume Désanges au Grand Café de Saint Nazaire en 2018, fait allusion à ce réemploi déjà d’actualité sous l’empire romain tardif où les fragments d’architectures anciennes servaient dans de nouvelles constructions. Après avoir pris connaissance de l’histoire du lieu, le duo contamine lentement l’espace en réutilisant des éléments de précédentes expositions auxquels s’ajoutent les matériaux trouvés et de nouvelles pièces produites le plus souvent in-situ.

Comme l’indique le titre Anatomie d’un corps absent à Thiers, le corps, matière première de leur réflexion, est omniprésent. Même si invisible, il transparaît régulièrement en creux dans plusieurs objets tels les prothèses et les assises. La prothèse, excroissance du corps, à la fois outil et sculpture, constitue l’ossature du travail et correspond à une structure d’usage et d’action alors que l’assise évoque le temps de repos, comme un moment suspendu nécessaire à la contemplation. Il s’agit d’une sculpture de ralentissement et de silence, souvent inconfortable et instable, mais hautement poétique, en bois ou en céramique avec des roulettes en verre ou encore réalisée en cuivre et dont les couleurs chatoyantes jouent avec la lumière.

 « La sculpture vient souder le temps géologique avec le temps humain. » annoncent-ils dans leur compilation de textes intitulée Intervalle. En effet, l’écriture est une pratique qui les accompagne depuis toujours, sous forme de poèmes en prose qui sont pour certains intégrés dans les installations. Parfois des archives photographiques et filmiques, témoins de leur obsession de l’archivage, ponctuent également l’espace.

Dans cette alternance de temporalités, fil conducteur dans leur travail, les artistes cherchent à témoigner des processus de transformation de la matière qui passe d’un état liquide à un état gazeux ou solide. Ils mettent en exergue les notions de tension et d’équilibre instable avec des pierres suspendues par des fils de cuivre, un mobilier bancal, des réceptacles où l’eau évaporée a laissé les traces du temps qui passe. Et toujours ils brouillent les frontières entre art, artisanat et industrie.

Le paysage qui en résulte, évoquant tout à la fois le minimalisme et l’arte povera, reste intemporel, bien que le vocabulaire soit très contemporain. Cette archéologie à la fois puissante et fragile, industrielle et artisanale, brutaliste et poétique, trouble notre perception et opère dans notre imaginaire. Où se trouve-t-on ? Sur un lieu secret voué à des rituels, sur un site en déshérence ou encore sur la scène d’une tragédie digne d’un théâtre antique ?

Depuis longtemps fascinés par l’art pariétal et les Vénus de la préhistoire, ils se sont intéressés récemment plus particulièrement à la Vénus de Lespugue, une des plus célèbres statuettes stéatopyges datant du paléolithique. Ils ont alors développé un travail autour du corps et des notions de fertilité et d’hybridité. Une résidence à la Fondation Martell en 2020 leur a permis de réaliser leurs premières Vénus en verre, dont certaines sont présentées actuellement dans une installation au Musée de l’Homme pour l’exposition Arts et Préhistoire, conçue en hommage à la découverte de l’iconique Vénus de Lespugue en 1922.

Un nouveau chapitre s’ouvrira en juin au Palais de Tokyo, où ils investiront un espace de 400 m2 dans les sous-sols avec sculptures, dessins, peintures et vidéo dans une approche politique et poétique du monde. Le visiteur sera invité à déambuler entre anciennes et récentes productions traitant de la question de l’archéologie, de la défaillance du corps ainsi que de sa réparation, et où la matière, conductrice d’énergie et de chaleur, sera chargée de pouvoirs guérisseurs.

Et comme le suggèrent les mountaincutters dans leur recueil Intervalle : « Que faut-il faire quand on est trop sur terre ? Asseoir le temps et regarder la fumée s’évaporer. »

 


Infos pratiques :

 

Arts et Préhistoire

Jusqu’au 22 mai

Musée de l’Homme

17 place du Trocadéro, Paris 16

 

mountaincutters

Du 15 juin au 18 septembre

Palais de Tokyo

13 Av. du Président Wilson, Paris 16