Jérémie Danon
Né en 1994, diplômé de l’ENSBA Paris, lauréat du Prix ARTAÏS en 2022. Il vit et travaille à Paris.
Son travail est basé sur la relation à l’Autre, ses portraits multimédia de personnes « en marge » prennent forme au cours des échanges avec ses modèles qui deviennent comme les co-auteurs des œuvres.
Plein air est l’une des premières séries de portraits-vidéo réalisés par l’artiste. Il y noue un dialogue avec cinq personnes sorties du milieu carcéral (rencontrées dans le cadre d’un bénévolat au sein d’une structure de réinsertion) et les conduit à se poser des questions sur elles-mêmes. Pour les encourager à se livrer, il les invite à choisir, parmi plusieurs animations en 3D de décors naturels, celle qui se rapproche le plus de leur paysage idéal, au cœur duquel ils aimeraient se trouver devant spectateur. Par ce biais, il nous fait découvrir des personnages n’ayant pas abdiqué toute liberté à l’égard des impitoyables engrenages sociaux qui les broient – même si, à l’instar de Bruce, ils confessent manquer de temps pour pouvoir s’y soustraire (« trois jours de perme, c’est pas assez » est le refrain de sa chanson reprise dans le générique du film). Ces héros « sartriens » qui refusent d’enfermer leurs existences dans des « essences » irrémédiables suscitent un profond questionnement chez Jérémie Danon car il les retrouve nombreux autour de lui.
Dans la série des Nouveaux classiques, exposée à Jeune Création et à la Galerie Pal Project, il met en scène des personnes de son proche entourage, dont une partie a grandi avec lui dans un quartier populaire du 19earrondissement de Paris. Il s’agit de six portraits « sonores » : en toile de fond une figuration 3D de paysages et d’objets divers représentant la projection des rêves des protagonistes, eux-mêmes peints à l’huile au premier plan. Ces portraits hybrides sont animés par une bande-son, dans laquelle les personnages se racontent et se dévoilent.
Ce dispositif, qui s’étale aussi bien sur l’espace de la toile que dans le temps du dialogue avec les modèles, se prête à la représentation de ces êtres chers à notre artiste, qui sont persuadés que leur moi n’est pas une entité fixe, bien campée, in piedi, mais un ego en devenir, in fieri. Leur caractère évolutif est sous-entendu par l’un d’entre eux, Clément. Dans la bande sonore du tableau qui le représente, il dit : « je ne sais pas si j’aime toujours ma toile, je pense que je la ferais différemment aujourd’hui ».
A bien la regarder, toute cette galerie de portraits représente des « créatifs » : non pas ou pas encore d’illustres créateurs, mais simplement des êtres en quête de renouvellement et d’innovation. Clément est cinéaste. Alpha, Hamilton et Karen animent un cercle où s’expérimentent de nouvelles figures rythmiques et chorégraphiques (comme nous le révèle une vidéo de Jérémie, AfroKingdom, (Prix du Jury du Meilleur Court Métrage Français au Champs-Élysées Film Festival). Maxime rêve de combiner les métiers d’élevage et de recyclage de pièces détachées d’avions ou de voitures, au sein d’une profession originale qui les synthétiserait. Quant à Alice, elle expose ses nombreuses métamorphoses intérieures, en posant au milieu d’un vaste ensemble d’objets disparates avec lesquels elle est entrée en fusion affective au fil du temps.
La question est de savoir pourquoi ces personnages libres et inventifs sont nos « nouveaux classiques ». Ne serait-ce pas à cause de leur exemplarité ? Il est clair que les anciens classiques du portrait proposaient généralement à la jeunesse de leur époque l’imitation de toute une série de modèles, exemplaires par leurs qualités traditionnelles. Mais si l’on suppose, avec Henri Bergson, la présence en nous d’une force créatrice, d’un « élan vital », qui nous presse à toujours produire de la nouveauté, alors on comprendra que les personnages de Jérémie Danon, engagés dans la voie du renouvellement de soi, puissent être, eux aussi, exemplaires, vu qu’ils agissent comme nous aimerions tous le faire pour devenir novateurs.
En vérité, les modèles des « anciens » classiques étaient exemplaires dans une société prenant appui sur le passé, puisque l’imitation des modèles ancestraux assurait la perpétuation de l’ordre établi. Tandis que Jérémie portraiture les citoyens de la société de demain, que Bergson conçoit comme « ouverte », tournée vers l’avenir et accueillant en elle toutes les forces novatrices. En son sein, ses « héros » deviendront certainement nos « nouveaux classiques ». Du reste, si l’artiste décide de les présenter au grand public, en les faisant connaître bien au-delà des micro-milieux constituant leurs zones naturelles d’influence, c’est précisément pour les ériger en futurs modèles pour tous.
Dans son constant souci de dépeindre ses personnages « néo-classiques », Jérémie Danon a réalisé pour l’exposition pARTages un portrait sonore de Kiddy Smile, célèbre chanteur, DJ, producteur et performeur de la scène queer, personnage d’une débordante créativité.
Et, pour bien opposer les sociétés d’hier, qui réitèrent indéfiniment la tradition, aux sociétés actuelles, qui se renouvellent sans arrêt, il se propose, à plus long terme, de tourner un film racontant l’histoire du kibboutz dont ses grands-parents furent les membres fondateurs, sanctuaire de valeurs traditionnelles, aujourd’hui remplacé par un effervescent supermarché, rassemblant des clients de tous horizons.