Mounir Ayache – La géométrie intégrale
Diplômé des Beaux-Arts de Paris en 2017, l’artiste franco-marocain Mounir Ayache crée des installations multimédia, assistées d’une puissante technologie, qui nous plongent dans l’univers de la science-fiction. Ouverts sur les espaces astronomiques, ses assemblages sont généralement revêtus d’un riche manteau d’arabesques, réalisés à l’aide de moyens exclusivement informatiques ou électroniques : écrans vidéo, panneaux fluorescents, plaques de métal gravées à la fraiseuse numérique.
Curieusement son esthétique futuriste orientalisante exerce sur le spectateur occidental un attrait bien plus puissant que les décors de science-fiction faisant partie de son propre patrimoine culturel, comme Star Trek ou Star Wars. Cela n’est pas dû à un simple phénomène générationnel ou de mode.
Paul Valéry remarquait déjà dans les années 1930 la fascination éprouvée par les amateurs d’art européens pour les chefs-d’œuvre d’Orient qu’il attribuait au raffinement et à la sensualité de leurs matériaux. Selon lui, les artistes d’Europe, « si habiles dans la proportion et la composition des formes, semblent avoir négligé le raffinement dans la matière », et s’être « contentés de celle qu’ils trouvaient auprès d’eux », sans « rien rechercher de plus délicat, rien qui arrête les sens indéfiniment et diffère l’introduction des idées » (Regards sur le monde actuel, 1931).
Ce plaisir tactile et visuel, qui retarde l’usage de l’intellect, la prise de position, on l’éprouve aussi devant les montages de Mounir Ayache, marqués par un géométrisme structurant non seulement la forme de leurs grands pans, mais descendant jusque dans les profondeurs de leurs composantes matérielles, lesquelles sont travaillées dans leurs moindres détails. En témoigne son simulateur de vol et jeu vidéo Av.roes-Zellinger : une capsule d’allure monolithique, recouverte de plaques métalliques finement gravées d’arabesques – par des techniques numériques.
Si le géométrisme intégral de l’artiste est aussi attrayant, ce n’est pas seulement à cause du raffinement de ses matériaux, mais aussi parce que, formellement parlant, il paraît plus cohérent avec l’image de l’habitat futur de l’humanité, dans l’hypothèse d’un exode science-fictionnel de celle-ci dans l’espace. En effet, ce que nos télescopes nous dévoilent aujourd’hui, en scrutant le ciel, ce sont des planètes inhospitalières, pour la plupart désertiques, recouvertes de roches ou de sables. Or on sait que l’humain, lorsqu’il est confronté à un milieu hostile, tend généralement à s’en dégager mentalement, à l’aide d’une architecture conçue et décorée de manière abstraite, voire géométrique.
Ainsi, les Arabes, placés dans un univers « extrême », disséminés à travers les oasis précaires d’un désert immense, ont donné naissance à un art purement abstrait et géométrique, interdisant toute imitation des formes naturelles, sous peine d’atteinte à la religion. Car la seule façon de se protéger d’un espace aussi menaçant que le leur, aux profondeurs insondables, creuset de vents ravageurs, qui hérissaient les sables de dunes continuellement ondoyantes, était de s’enfermer dans des édifices aux formes géométriques simples et rassurantes, qu’ils recouvraient – lorsque leurs moyens le leur permettaient – d’arabesques aux tracés clairs et nets.
C’est la raison pour laquelle l’art arabisant futuriste de Mounir Ayache pourrait se révéler attractif à long terme, pour organiser le cadre de vie d’une diaspora humaine fictionnelle se répandant à travers le cosmos, à l’aide de ses inventions techniques et découvertes scientifiques. Cela nous permet de l’étiqueter « d’arabo-futuriste ». On peut détecter la présence d’un lien, déjà clairement établi, entre arabité et humanité future, dans le célèbre roman de science-fiction de Frank Herbert, Dune, datant de 1965, dans lequel la majorité des personnages portent des noms arabes. Mais ce n’est qu’aujourd’hui qu’un véritable courant arabo-futuriste commence à prendre forme, avec des auteurs comme Larissa Sansour (A Space Exodus, 2009 ; In the Future they Ate From the Finest Porcelain, 2019).
C’est dans ce sillon narratif que se situe Mounir Ayache.
Dans l’une de ses expositions d’envergure, lors de Manifesta 13 à Marseille en 2020, il présente une installation multimédia performative et évolutive, Khadija, mettant en scène l’histoire inachevée, en devenir, de son héroïne-performeuse éponyme. Échappée, du fait d’une erreur logicielle, à l’emprise de JaffarONE, intelligence artificielle exerçant, à l’aide de son puissant bras mécanique, un contrôle minutieux sur les pensées de tout son entourage, elle accède à une couche de souvenirs censurés d’une zone interdite qu’elle avait jadis traversée. Un endroit désertique dans lequel apparaissent, comme des mirages, placés côte à côte, des formes architecturales courantes de son environnement quotidien et des vestiges d’édifices classiques de l’architecture religieuse arabe. L’idée véhiculée par l’installation est donc que l’art d’inspiration arabe pourrait être appelé à jouer un rôle plus important dans l’humanité de demain qu’aujourd’hui.
Car à présent, le monde arabe, déçu par son adhésion au pas de course à la culture occidentale, que lui ont imposée les dictateurs du panarabisme – nassériens ou baasistes–, vit dans un repli identitaire qui l’isole de la mondialisation en marche, au sein de laquelle la science-fiction lui réserve pourtant une place de choix. Mais cela à la seule condition d’oublier la spiritualité qui lui a donné naissance. Une condition problématique, comme en témoignent les interrogations restées en suspens de Khadijah, par lesquelles s’achève provisoirement sa performance.
INFOS :
Prendre la tangente
Jusqu’au 23 juillet
Maif Social Club
37 Rue de Turenne, Paris 3e
Spectacle de danse « Parade » (projet Be Part),
Avec la compagnie L’Autre Maison
24, 25 et 26 juin
KLAP – Maison pour la danse, Marseille
Exposition personnelle
Consulat Voltaire,
octobre 2022