Femmes guerrières, femmes en combat

Par Antoine Bonnet11 mars 2022In Articles, 2022

 

 

On entendait encore les appels à la paix, tout proche. Dans les murs de « Topographie de l’art » à Paris résonnent les fracas du monde. Sur une proposition de l’artiste Isabelle Lévénez, décédée en 2021, l’exposition ne pouvait faire abstraction du contexte géopolitique actuel. Rassemblant 11 artistes femmes aux pratiques et générations différentes, la commissaire Isabelle de Maison Rouge met ainsi le doigt dans la plaie béante de l’après #metoo.

 

C’est Isabelle Lévénez qui introduit l’exposition. Dans sa série de photographies- performances, elle détourne les codes masculins et féminins véhiculés par un marketing genré patriarcal, se grimant tour à tour en Madone boxeuse, en Saint Sébastien, cible de flèches, ou Sainte Lucie aux yeux énuclés…

 

Répondant à Courbet, Orlan, avec L’origine de la guerre, érige un sexe missile comme image paradigmatique de la prédation masculine. Rien d’étonnant que cette photo ait fait le tour des réseaux sociaux dernièrement ! Le missile de l’artiste Léa Le Bricomte, lui, se fond dans un stupa indien. Le syncrétisme des cosmogonies hindouistes dans un armement occidental continue dans le Mandala qui se compose de douilles de balles. En pointant son arme comme dans les dessins à l’ombre à paupières réalisés par Brigitte Zieger, l’artiste affirme « Les femmes sont différentes des hommes » (Women are Different from Men). Les peintures brutales de Nazanin Pouyandeh, notamment Soulèvement des âmes noires, nous montrent le combat de la femme avec elle-même, Eros et Thanatos en tension, auguré par des oiseaux noirs.

 

Chez Céline Cléron, aussi, les guerrières sont animales. Une guérite défensive est ainsi érigée avec des ruches tandis que la « colombe annonciatrice » picassienne a les ailes alourdies de médailles religieuses … Les femmes peuvent être cruelles dans No Spring till now, ou pleureuses comme dans la céramique Lacrymosa.

 

Car « Les femmes qui pleurent sont en colère » écrit Orlan. Les larmes saignent, déstabilisent, imposent le silence. Myriam Méchita donne aussi corps à ses émotions contradictoires avec l’installation très narrative quelque part sans langage ni rue, tu apparais, tandis que Milena Massardier, elle, brode son armure. Retournement des codes féminins ou masculins, réappropriation des corps, lutte face aux oppressions, la commissaire de l’exposition, Isabelle de Maison Rouge s’interroge, entre autres : « Dans leurs combats, quelles sont les armes que prennent les femmes ? »

 

Avec une argile qui ne sèche pas, Rachel Labastie sculpte des empreintes et des palpations pour créer une plaie vulvaire. Des plaies similaires seront aussi laissées par les haches que l’artiste a plantées, rythmées, dans les murs de l’espace d’exposition. Chez Corinne Borgnet, la couronne d’épine devient une jarretière faite d’os, la guêpière est décharnée, la religieuse s’auréole de mouches volantes…

 

Idéalisme des corps, joute cathartique, Maryline Terrier revisite l’histoire de l’art. Car c’est bien de ce combat qu’il s’agit. Prendre une place juste dans une histoire des arts qui a trop souvent écrasé les artistes femmes. Pour cela, l’exposition rend hommage, ou plutôt rend « femmage », selon les mots d’Orlan, aux « femmes en combat » dans le monde.

 

 


Infos pratiques :

 

Exposition jusqu’au 7 mai 2022

Topographie de l’art

15 Rue de Thorigny, 75003 Paris

 

Samedi 19 mars : Performances de Aïda Patricia Schweizer et de l’artiste russe

Olga Kisseleva en collaboration avec l’ukrainienne Taisiya Polishchuk

Suivi d’une signature d’ORLAN et Rachel Labastie