DIASPORA AT HOME De Lagos à Paris
« Home »
Bien plus qu’un chez soi, le mot évoque un lieu autant qu’un sentiment de confort, d’aisance, d’appartenance ; peut-être même de constance. Pourtant cette exposition le confronte à sa cruelle précarité, à son itinérance.
Diaspora at Home est une exposition collective, elle-même nomade, ayant voyagé depuis le Nigéria. Née d’un tandem entre le Centre for Contemporary Art, à Lagos, et Kadist, à Paris, et portée par deux commissaires, Iheanyi Onwuegbucha et Sophie Potelon, elle initie une passerelle d’échange entre deux scènes, deux continents, et moult récits.
Se frottant aux problématiques des mobilités au sein de l’Afrique, remettant en question les préconçus autour des migrations – notamment leur réduction à l’axe Sud(s) – Nord – la proposition fait rentrer en collision les mouvements perpétuels des diasporas avec la permanence du rattachement.
Nichée dans le salon de lecture aménagé par Amandine Nana au fond de la galerie Kadist, une table jonchée d’essais, de catalogues, et diverses publications, comble le saut culturel et géographique de cette exposition à double-ancrage et incite à la documentation sur les arts visuels africains. L’atmosphère rendue ainsi intimiste, cosy comme à la maison, est propice à l’immersion et l’échange envers l’autre. Ainsi, une œillade rapide depuis cette bibliothèque enclavée, nous rapporte une fenêtre en trompe l’œil ouverte sur cet « ailleurs ». L’intervention acrylique in-situ de Chloé Quenum, empruntée à sa série Overseas et agissant comme interstice entre intérieur et extérieur, esquisse une frontière poreuse entre le familier et l’étranger. Un paysage verdoyant est partiellement dissimulé par une épaule vagabonde, détournée de nous, nous guidant peut-être ? L’image photo-réaliste semble prise caméra au poing et invite à plonger.
Mais c’est par une autre – et véritable – baie vitrée que l’exposition est abordée. Avant même de passer le seuil d’entrée, des visages nous observent. Divisés, scindés en deux, non pas rapiécés mais superposés, ils ondulent sur des pièces de tissu. C’est l’œuvre de Nidhal Chamekh. Sa série de dessins, nos visages (2019-2021), rend hommage aux « tirailleurs » sénégalais et berbères. Anonymes fantômes de la colonisation française, ou factions invisibles de la libération, ils hantent la galerie et imposent leur présence, à défaut de leur identité si longtemps dénigrée dans les journaux coloniaux. Non une forme de réparation, mais davantage une remémoration. Par ces transferts, ces dédoublements, l’artiste originaire de Tunis, couple ces existences niées comme pour en amplifier les voix non-entendues. Non loin pourtant, une oreille se tend. Se détachant de quatre cartes du continent africain, le détail anthropomorphe rapproche problématiques géographiques et enjeux fondamentalement humains du territoire. Au fil de ces feuilles photocopiées à répétition, les frontières se brouillent, se floutent, disparaissent. Nomad in Exile (2021) par Abraham Oghobase fait ainsi écho à l’effacement de la mémoire ravivé par les visages voisins. Mais ici, l’oubli des démarcations imposées permet d’invoquer, au moins d’imaginer, une Afrique unie et libérée de ses obstacles à la mobilité.
De ces bribes tantôt remémorées, tantôt refoulées, se reconstitue une histoire aux multiples tracés. L’investigation de l’archive multiforme rentre alors en jeu. Une installation murale devient alors une mosaïque de souvenirs fouillés, où se chevauchent films grésillant, passeports, cartes postales, et dessins dissimulés dans des boites d’allumettes. Le travail de Bady Dalloul est immédiatement identifié. Avec Bound Together (2019 – 2021), l’artiste franco-syrien conte le récit de communautés moyen-orientales s’étant retrouvées par erreur en Afrique de l’Ouest côtière au début du XXème siècle. Cruel destin dessiné par les forces coloniales gouvernant alors, cette trajectoire méconnue nous rappelle l’imprédictibilité de la migration et les lignes de vie improbables ainsi tracées. Sur ce même mur, un patchwork d’images et de visages forme trois vêtements, conçus à partir d’un textile commémoratif nigérian. Accompagnées de simples légendes observatrices – pattes de mouches bleues-stylo Bic apposées à même le mur immaculé – l’histoire de ces familles relocalisées, interviewées par l’artiste à Lagos, est ainsi narrée entremêlant évènements passés et conjonctures démographiques actuelles.
Arrêt-seconde pour scanner un QR code et continuer l’errance sur le tempo de la playlist Mobilis Alkebulan, par l’artiste et DJ sud-africain Ntshepe Tsekere Bopape.
Cette mémoire du départ, collective et intergénérationnelle, comment la réconcilier à l’appartenance à la terre, enracinée mais bien contemporaine ? Dans la salle suivante, davantage enclavée, des spirales de cuivre nous barrent le passage et désorientent. Tenus à distance de l’écran, nous voici bercés par le défilé d’objets symboliques variés qu’une main promène dans le paysage burkinabé. Avec Instruments of Air (2021), Rahima Gambo continue sa pratique de la marche, état de transition opérant comme fil connecteur entre astre solaire, oiseaux de bronze, nids désertés, vaches sauvages, ou végétaux rencontrés en chemin. Elle tisse ainsi une autre approche de la cartographie, plus intégrée aux formes de vie peuplant le territoire et aux cosmologies l’animant. Gambo nous fait réaliser que même l’itinérance peut permettre de rester ancré.
A la sortie de ce sas menant à la dernière salle, c’est un nid semblant s’être écrasé au sol qui nous trouve. La violence destructrice du déracinement s’apparente aux poétiques évocations du corps en déchirement dans les dessins voisins de Wura-Natasha Ogunji, autant que se retrouve dans le bois calciné au chalumeau de Migration (1992), par El Anatsui.
Enfin, de ces histoires et généalogies croisées, des multiples géographies parcourues, des migrations complexes incessantes au fil des années, quel sens de continuité ? Chacune des œuvres présentées – issues de la collection Kadist ou réalisées à Lagos in-situ – aborde le traumatisme du passé, lointain ou proche, et interroge un futur incertain, climatique, sanitaire, politique, mais surtout humain. Qu’est ce qui fait lien ?
Sous-jacent dans cette exposition, suggéré par le procédé d’une double résidence, par la ré-assimilation des savoirs locaux et l’affirmation d’une Afrique contemporaine, c’est le dynamisme du Présent. En effet Diaspora at Home entremêle avec élégance les trois temps.
Comme en témoignait la conversation tenue à Kadist en décembre dernier, « After Àsìkò. Artistic and Curatorial Practices in Africa », la mobilité peut devenir une méthodologie de création et non plus seulement de survie.
DERNIERS JOURS !
Diaspora at Home
Jusqu’au 30 Janvier 2022
Kadist
19bis/21 rue des Trois Frères, Paris 18e