RACHEL LABASTIE - Les Eloignées

Par Marie Gayet16 novembre 2021In Articles, 2021, Revue #27

 

D’une abbaye du passé à une autre du présent, Rachel Labastie évoque avec l’exposition Les Éloignées le sort de femmes dans l’exil et l’instrumentalisation des corps. A l’Abbaye de Maubuisson, le parcours tout en sobriété met en scène un ensemble de récits entre violence et fragilité.

 

C’est après une résidence en Tasmanie que Rachel Labastie apprend que l’État français, à l’instar des Anglais, a lui aussi envoyé dans les colonies, notamment en Guyane, des femmes, condamnées pour des petits délits, dans le but de servir de ventres à peupler ces territoires conquis.

 

 

L’artiste, dont le travail évoque pour beaucoup les liens qui nous unissent, avec toute l’ambivalence que cela peut représenter, attachement et emprise, enchaînement et conditionnement, ne pouvait que s’intéresser à cette histoire de femmes reléguées dans une contrée lointaine, forcées à enfanter et dont même les noms ont disparu.

Lorsque durant ses recherches elle apprend que les femmes étaient gardées par des religieuses de l’ordre de Saint Joseph de Cluny, le projet de l’exposition trouve à l’Abbaye de Maubuisson une résonance particulière.

 

Au fil du parcours, l’artiste essaime des œuvres dans des matières et des formes au ressort symbolique troublant. L’argile crue, de sa propre fabrication, ayant la particularité de ne pas sécher, est comme une pâte qu’on malaxe, qu’on griffe, qu’on serre, rappelant dans la série des Tableaux caisses une chair proche de « l’origine du monde » ou de la blessure. De même, la porcelaine joue sur l’ambiguïté.  Précieuse et douce lorsqu’elle est utilisée pour les grands médaillons sur lesquels apparaissent des visages de femmes, faisant penser aux portraits anthropométriques, mais froide et dure, lorsqu’elle modèle des maillons de chaînes, des crochets, des entraves, tous faits à la main par l’artiste.

Presque cynique est la signalétique moderne des caisses de transport si l’on songe aux conditions de voyage de ces femmes, comment elles ont été (mal)traitées. Quant aux structures en bois où sont suspendus les médaillons, ils peuvent se voir aussi bien comme des portants de bijoux que comme une potence.

 

Cette double lecture des œuvres, ainsi que la présence des objets de la religion : retable, calice, mains en prière, cœur, renforce la dimension dramatique de l’ensemble.  Aussi, quand surgit au milieu de la salle des religieuses la Femme proue, œuvre réalisée en collaboration avec des artisans, dans l’excellence du savoir-faire, on ne sait pas si dans sa pose penchée, les mains liées, la tête baissée, la femme est prête à chuter, telle une condamnée, ou si au contraire, priante, vaillante, elle se redresse, dans un élan de délivrance, un appel à la résistance.

 


Les Éloignées, Rachel Labastie

Jusqu’au 27 février 2022

Abbaye de Maubuisson, site d’art contemporain du Conseil départemental du Val-d’Oise

Avenue Richard de Tour, Saint-Ouen-l’Aumône (95).