Il n’est pas coutume, dans le cénacle des centres d’art parisiens, d’entrer dans l’univers fantasque de la psychiatrie avec cette légèreté feinte que nous offre la première exposition monographique de Louise Pressager à la Maison des Arts de Malakoff.
C’était avant le Covid19. L’exposition devrait être prolongée à la réouverture du centre d’art.
Vous êtes l’heure, je suis le lieu, ce titre pour le moins énigmatique annonce d’emblée le contenu d’une exposition prolixe, à consonance autobiographique, qui nous balade dans les méandres labyrinthiques de la vie intime de l’artiste, de ses souvenirs de jeune fille bonne élève en province, d’étudiante en quête d’identité, et de jeune femme active se partageant un mi-temps entre sa pratique hospitalière en psychiatrie et son travail artistique.
Nous avions découvert Louise Pressager au Salon de Montrouge en 2014, où elle avait été particulièrement remarquée pour ses dessins, la justesse de son trait et la concision dans l’exécution, avec des sujets relatifs à l’existentiel et au quotidien, souvent graves mais si bien contrebalancés d’un humour sous-jacent toujours affleurant.
Ici, elle poursuit cette même recherche sur le temps d’avant, « vous êtes l’heure », en exploitant au maximum toutes les possibilités qui lui ont été offertes, à temps pour l’exposition, aussi bien en matière d’aide à la production audiovisuelle et musicale, qu’en terme de potentiel d’espace de monstration, « je suis le lieu ».
Du dessin, elle étend le champ de sa pratique artistique au vidéoclip, à la performance, à la chanson, à l’installation, à la scénographie même, pour les englober toutes dans l’exposition. C’est au travers d’une série d’alcôves et d’un parcours fléché et tracé sur un linoléum ad hoc que s’échelonnent, sur les deux niveaux du centre d’art, salles de projection, peintures murales, installations, cabinets d’objets, dessins en noir et blanc ou en couleur.
Si elle n’a pas suivi l’enseignement des Beaux-Arts comme nombre de ses camarades, mais des études de droit, elle n’en a pas moins baigné dans l’art dès le plus jeune âge, aux côtés de ses parents, tous deux artistes et enseignants émérites. On comprend mieux ainsi l’originalité de la démarche, exempte du formatage estampillé “Beaux-Arts”, qu’elle a choisie délibérément.
En fait, depuis longtemps, l’artiste écrivait des textes. Mais c’est suite à sa rencontre inopinée avec Ferdinand, compositeur et arrangeur, grâce aux petites annonces, qu’il lui est permis aujourd’hui de les mettre en musique, les interpréter et développer cette nouvelle dimension chantée.
Le parcours de l’exposition commence avec la vidéo ça va mieux. Louise nous entraîne ainsi dans l’univers de l’hôpital psychiatrique avec des saynètes burlesques où évoluent deux malades en compagnie de leur médecin, tout au long des différents stades du traitement. Dans le clip Rendez-vous manqué, l’artiste est affublée d’une tenue de super héroïne, de super malade. Elle décore l’alcôve avec son tapis persan (en référence au « Grand guide du tapis » de Jacques Anquetil), et aussi les trois icônes en référence aux super héros : Freud, Baden-Powell et Armstrong.
Louise Pressager incarne, joue, chante les malades mentaux qu’elle connaît si bien pour les côtoyer, et qu’elle fut peut-être elle-même un temps, avec cette pertinence à vouloir nous faire sentir au plus près, dans ce jeu global, le cadre thérapeutique auquel ils sont soumis. A sa manière, elle évoque les notions de transfert psychanalytique, de rêve et de réalité, d’extériorité et d’intériorité comme si elle voulait expurger, par cet exercice artistique de catharsis, cette sorte de mal intérieur qui la ronge sans qu’elle puisse véritablement l’avouer.
Parmi d’autres, le clip-chanson que nous retiendrons est Bouée crevée / Je crois que j’oserais te dire je t’aime. Même style que le précédent, autobiographique sur son enfance d’élève travailleuse, d’adolescente en prise avec la tyrannie parentale, avec celle des garçons et de l’école qui l’ont martyrisée, celle de la société dans sa propre quête d’identité sexuelle. C’est une suite de sketchs, jouée de cette naïveté naturelle. Les acteurs sont ses proches : son père, sa mère, son frère. La scène, tournée dans le jardin familial, fait appel à une farandole d’objets symboliques chers à l’artiste tels la piscine, le transistor K7, la perruque, la bouée, etc.
L’exposition donne aussi la part belle au dessin, avec une série de nouvelles pièces à consonance psy. Les oeuvres se présentent également sous forme de grandes fresques murales comme cette caricature osée de son psychiatre – avec son consentement – statuant La psychiatrie, c’est la prostitution de l’âme.
Terminons avec la sculpture-installation des ciseaux jaunes et de la gomme encre-crayon, Tout rose ou tout bleu ? Ces couleurs, au fil du temps, ont servi à caractériser le féminin et le masculin, la gomme rose tendre qui efface si bien le crayon noir et la bleue qui devrait effacer l’encre sans jamais y arriver vraiment. Belle métaphore qui, relatée dans le clip précédent, évoque la difficulté de l’artiste à trancher sur sa propre identité sexuelle, à actionner ces fameux ciseaux jaunes.
Pour conclure, loin de se perdre dans l’abstraction, Louise Pressager invite à redécouvrir sans cesse, sous des angles multiples, la figuration, le paysage, celui de l’âme au plus profond, et ceci tout en chantant.
INFOS:
Louise Pressager, vous êtes l’heure, je suis le lieu
Maison des arts de Malakoff
105 Avenue du 12 Février 1934, Malakoff