DANS LA CAVERNE, L’ALTERNATIVE ?
Project Space, Artist-Run Spaces, non profit space, lieux indépendants, espaces alternatifs : autant de qualifications pour définir des lieux d’exposition au format protéiforme, créés par des artistes ou commissaires d’exposition (dans des ateliers, appartements, vitrines, espace itinérants, parking, hangar, locaux adossés à une galerie marchande ou non, associations). Ils n’ont pas de contrainte de rythme ou d’objectif marchand même si la vente d’œuvres est souvent la condition de leur équilibre économique, et que certains jouent sur une ambiguïté de statut, alors que d’autres sont devenus des galeries ou des centres d’art à part entière. S’ils peuvent servir la pratique de l’artiste à l’initiative du projet, ils y présentent plutôt les travaux des autres : de leur cercle d’amitiés, de leur génération ou ceux avec qui ils partagent un intérêt ou des préoccupations communes.
Pour connaître ces lieux, il faut souvent prendre des chemins de traverse dans le parcours balisé des galeries et des centres d’art. On y retrouve d’autres artistes et professionnels de l’art : peu de collectionneurs ou de curieux quoiqu’il en soit.
Si ces lieux indépendants ont connu un regain de visibilité depuis quelques années, ils ne constituent en rien un phénomène nouveau.
Pauline Chevalier, dans un ouvrage* paru en 2017, montre comment ceux-ci ont structuré une scène New Yorkaise depuis les années 50 jusqu’au début des années 80. En France, les premiers lieux font leur apparition dans les années 80/90 avec Faux mouvement à Metz en 1983, Red District à Marseille, Le Bon Accueil à Rennes ou Glassbox à Paris. L’exposition « RUN RUN RUN » en 2016, conçue par 22 collectifs et 120 artistes d’Europe et d’ailleurs, transforma la Villa Arson en vaste atelier d’expérimentations autour de cette notion.
Alors pourquoi encore s’y intéresser en 2018 ? Parce qu’ils ne cessent de se renouveler et qu’ils continuent à marquer et révéler durablement des générations d’artistes. N’oublions pas que derrière l’initiative sympathique et énergique « do it yourself » il s’agit aussi d’un constat d’échec. Celui des institutions et des marchands, plombés eux-mêmes par leur économie, leur politique, leurs sphères d’influence, qui peinent à la fois à témoigner, faire émerger et accompagner durablement des artistes souvent reconnus par leurs pairs. Sans que ceci ne soit surprenant, nouveau ou négatif, il est d’ailleurs paradoxal de voir comment aujourd’hui les institutions et les marchands se réapproprient, avec leur consentement certes, le travail initié par ces espaces alternatifs.
Ce qui en revanche est inédit, c’est la digestion systémique qui en est faite. Parfois ces project spaces sont-mêmes adossés ou liés à une galerie et de nombreuses foires leur font désormais une place en les invitant gratuitement ou à coûts réduits. Les espaces alternatifs sont aussi à l’honneur pour les prix d’art (nomination au Prix Ricard 2018). Alors faut-il se réjouir de cette visibilité ? Certainement, s’il s’agit de leur permettre de se faire connaître par un public d’amateurs plus large ou s’il s’agit de leur permettre de s’appuyer sur des structures moins fragiles pour permettre à leurs projets d’exister.
Beaucoup moins en revanche s’il s’agit pour eux de se faire instrumentaliser dans un rapport de force économique, et de pouvoir bénéficier à quelques galeristes opportunistes.
C’est ainsi qu’en 2018 les récits de l’alternative se poursuivent. Ni complètement différents ni vraiment identiques à ceux qui les ont précédés : ils restent un marqueur de différentes générations d’artistes et savent embrasser les codes du système. Qu’ils demeurent ou non, ils ne sont pas un mythe, ils existent, et cette générosité et spontanéité désillusionnée réconforte !