Château de Rochechouart pour l’amour de l’art
Il faut vouloir y aller, à Rochechouart, petite ville du Périgord limousin, un peu loin de tout. Mais pour les amateurs d’art elle vaut le détour depuis que son imposant château a été transformé en musée d’art contemporain en 1985. Jusqu’au 16 juin trois expositions tissent le lien entre la collection, le fonds Raoul Hausmann acquis par le musée, le travail de huit jeunes artistes, et l’œuvre majeure mais longtemps restée confidentielle de Joëlle de la Casinière.
Le grenier du château
C’est ainsi qu’Annette Messager et Christian Boltanski ont appelé leur installation commune conçue en 1990 pour le dernier étage du château, immense espace sous une charpente en bois, évoquant les greniers de fermes ou de maisons bourgeoises où les femmes étendaient le linge et les enfants jouaient à cache-cache. Les deux artistes y ont suspendu des draps blancs sur douze rangées, créant un dédale que le visiteur traverse en découvrant ici et là de petites photographies de fragments de corps, des phrases brodées, d’étranges figures peintes avec du sang, des vêtements, des vitrines avec des draps roulés ou des livres, animaux empaillés, objets intimes… On parcourt ainsi, comme dans un voyage initiatique, les différentes étapes de la vie, des langes du nouveau-né jusqu’au linceul.
La pleine lune dort la nuit
Cette phrase extraite d’un poème de Raoul Hausmann donne le ton à un dialogue de huit jeunes artistes avec des œuvres du co-fondateur du mouvement DADA à Berlin, dont le musée détient un fonds unique. Pionnier du collage, du photomontage et de la poésie sonore, théoricien et poète, Hausmann a quitté l’Allemagne nazie en 1933 et, après un périple à travers l’Europe, s’est installé en 1939 dans le Limousin où il est décédé en 1970. Les artistes invités ne sont pas en filiation directe, mais leurs travaux s’associent librement aux divers aspects de l’œuvre protéiforme de l’artiste « historique ».
Ainsi, les aquarelles de David Horvitz avec leurs combinaisons de lettres transcrivant le bruissement des océans se rapprochent des poèmes phonétiques de Hausmann. La cascade de lettres apposées dans le coin d’une salle de Laetitia Badaut Haussmann rend hommage à la calligraphie et Apollinaire, chers au dadaïste. Le rapport est moins évident chez Emilie Pitoiset dont les objets et « sculptures » dérivent plutôt du surréalisme et du Pop Art que du radicalisme dadaïste. Cally Spooner nous ramène dans l’univers hausmannien avec les moulages de son oreille posés sur des feuilles blanches ou imprimées de fragments de textes, tout comme Paul Maheke et ses phrases poético-politiques imprimées sur des tissus translucides, paravents fluides au milieu de l’espace.
Tout doit disparaître
C’est le titre du catalogue raisonné de son œuvre que Joëlle de la Casinière a entamé en 2005 et qui est loin d’être clos. Née en 1944 à Casablanca, l’artiste nomade a sillonne le monde, même si elle a établi son « camp de base » à Bruxelles. Son travail est à l’aune de son horizon : vaste et diversifié. Films documentaires, vidéos expérimentales, affiches et collages politiques, livres manuscrits et imprimés, tableaux-poèmes, son travail échappe à tout système, comme elle s’est toujours tenue à l’écart de tel ou tel mouvement artistique. C’est probablement une des raisons pour lesquelles son travail est resté plutôt confidentiel.
L’exposition à Rochechouart permet pour la première fois en France de découvrir toute l’étendue de cette œuvre intransigeante et attachante, notamment ses films documentaires tournés en Amérique Latine dans les années 1970 et ses « tablotins » des années 2010 qui mêlent malicieusement poésie, typographie, ornement et graffiti. On comprend pourquoi l’artiste a décidé de donner un important fonds de son œuvre au Musée de Rochechouart où il rejoindra celui de Raoul Hausmann.
INFOS :
Expositions prolongées jusqu’au 13 septembre.
Le grenier du château (Annette Messager et Christian Boltanski)
La pleine lune dort la nuit (Laetitia Badaut Haussmann, David Horvitz, Tarek Lakhrissi, Hanne Lippard, Paul Maheke, Emilie Pitoiset, Cally Spooner, Nora Turato, Raoul Hausmann)
Tout doit disparaître (Joëlle de la Casinière)
Commissaire : Sébastien Faucon
Musée d’art contemporain de la Haute Vienne – Château de Rochechouart
87600 Rochechouart
Tel : 05 55 03 77 77