Bruce Nauman, artiste majeur du postmodernisme

 

Bien qu’échappant à toute catégorisation, l’artiste américain Bruce Nauman, Lion d’or à la Biennale de Venise en 2009, est emblématique dans le paysage post moderniste. L’ exposition que lui consacre la Fondation Cartier permet de comprendre la place qu’il occupe, en revenant sur les différentes composantes de sa pratique à mi chemin entre art minimal et conceptuel, mais nourri également de funk art et de références spirituelles. Son indépendance d’esprit et la portée universelle de son langage continuent de fasciner de nombreuses générations d’artistes. Etudiant d’abord les mathématiques et la physique, il pratique le jazz, avant de se consacrer, après son Master of Fine Arts, exclusivement à la performance, la sculpture, l’installation et la vidéo, en se saisissant du potentiel des médias technologiques. Jouant de la fluidité visuelle des espaces intérieurs et extérieurs du bâtiment de Jean Nouvel, l’artiste alterne pièces récentes et créations marquantes de ces dernières décennies.

Le studio

Le parcours s’ouvre avec « Pencil Lift/Mr. Rogers (2013) », allusion directe au chat de l’artiste et à l’atelier, partie prenante du processus créatif depuis ses premières installations expérimentales des années 1960. Les images et les sons sont restitués en temps réel, comme avec ces  caméras de surveillance qui lui permettaient de cartographier jour et nuit l’atelier. Des éléments surgissent alors de manière aléatoire où la main joue pleinement sa partition, comme souvent. Au spectateur alors d’actualiser le montage des différentes projections d’une même séquence, devenant par là même acteur d’une relation immersive à l’œuvre instaurée par un rythme composite et volontiers perturbé. Avec les pièces sonores « For Children (2015) » et « For Beginners (Instructed Piano) 2010 » réalisée avec le musicien Terry Allen à écouter dans le jardin, il est autant question de jeu et d’apprentissage que de spectateur devenu interprète et auditeur.

La mécanique duchampienne

Le carrousel des animaux (Carrousel – Stainless Steel Version,1988) au mécanisme grinçant qui accueille le visiteur à l’espace inférieur, au-delà de l’héritage des ready made, pose la question de notre relation à notre environnement dans une perspective de dénonciation politique. Il s’agirait plus d’un carnage que d’une ronde enfantine vite anxiogène. Si le langage est intime, sa portée est universelle.

L’exploration du corps et du langage

Si au début de sa trajectoire, Bruce Nauman apparaissait lui-même dans des autoportraits filmés ou des fragments de corps sculptés, la figure du clown cède la place à des artistes performeurs comme dans l’installation vidéo (Anthro/Socio (Rinde Facing Camera) 1991) qui fait face à la ronde macabre. Les scansions intimes de Rinde Eckert relayées haut et fort sur six moniteurs et trois écrans de projection (Feed Me, Eat Me, Anthropology) (Help Me, Hurt Me, Sociology…) instaurent une certaine gêne face à ces états de manque et de dépendance humaine. Métaphore de la solitude et de la condition humaine ?

Le corps est également au cœur de la sublime performance en guise d’épilogue, créée à l’origine pour la Biennale de Tokyo en 1970 et réactivée pour la Biennale de Venise (Untitled 1970-2009) où deux danseuses vont tourner « jusqu’à épuisement » dans le sens des aiguilles d’une montre tracées sur le sol. Double projection d’une même image. Le protocole est précis et l’artiste de nouveau absent, mais l’on sent qu’il agit comme en filigrane. Une forte présence mentale se dégage de ces œuvres en circuit fermé, autre principe fondateur et complexe d’un artiste protéiforme et atypique aussi provoquant que déroutant.

De la violence à la colère en passant par l’absurde nous atteignons un certain mysticisme face à ce tempus fugit qui n’en finit par de nous rattraper. L’humaine condition et ses paradoxes infinis. Un artiste majeur pour l’art contemporain.

 


INFOS :

Bruce Nauman
Fondation Cartier pour l’art contemporain
261 boulevard Raspail, Paris 14è
jusqu’au 21 juin