Prix Marcel Duchamp 2019
Prix Marcel Duchamp 2019
Pouvez-vous nous aider à saisir de manière elliptique, les approches, pratiques et les imaginaires à l’œuvre des artistes en lice pour le « graal duchampien » ? Quelle serait la spécificité ou fil conducteur de cette édition 2019 ?
Plus qu’un fil conducteur, ce qui me frappe dans cette édition, c’est la coexistence de pratiques très différenciées. Elle est tout à fait cohérente avec un prix dont l’ambition est de rendre compte de la diversité de la création artistique, aujourd’hui, en France.
Éric BAUDELAIRE compte parmi ces artistes qui s’attachent à porter un regard critique sur le monde, par un travail d’obédience conceptuelle qui le singularise parmi les quatre impétrants.
Pour le prix Marcel Duchamp, il présente un film dont la production a débuté il y a 4 ans, avec 21 collégiens de Seine-Saint-Denis qui en sont à la fois le sujet, les auteurs et les acteurs. Au fil de l’œuvre, on voit ces jeunes gens façonner leur propre image, loin des clichés qui circulent sur ce département dit « sensible ». Pour regarder ce long métrage, les spectateurs devront emprunter un espace technique. Cela ajoute une dimension in situ très savoureuse au projet.
Une partie de sa pièce se trouve à Saint-Denis ?
Éric a demandé à ses collégiens de produire un drapeau en écho à une œuvre fameuse de Daniel Buren produite pour le Centre Pompidou2. Le drapeau choisi sera installé au sommet de la tour Pleyel, qui est une sorte de « tour Eiffel » en Seine-Saint-Denis. Il sera visible, au loin, depuis les derniers étages du musée.
Katinka BOCK propose pour sa part une pratique sculpturale très fine, renouvelant dans le présent le langage des années 1970, entre art post-minimal, arte povera et site specific. Le projet de Katinka est construit autour d’un damier de plaques en cuivre qui a été installé plusieurs semaines sur l’une des terrasses du Centre Pompidou, pour y subir un processus naturel d’oxydation, recouvert d’un lé de tissu qui en a pris l’empreinte. Sur ce damier est mis en fonction un radiateur emprunté à un habitant du quartier. La lecture très subtile de l’histoire de la sculpture à laquelle se livre Katinka en reformule tous les enjeux. Sa maîtrise de l’espace est extraordinaire.
Benjamine de l’édition, Marguerite HUMEAU est une artiste très suivie par les musées et les collectionneurs. L’ensemble de son œuvre naît de récits bâtis à partir de sources scientifiques, fondés sur des collaborations avec des spécialistes. Elle fascine par sa maîtrise technique, d’une contemporanéité radicale. A travers ses sculptures, Marguerite fait apparaître des formes de vie nouvelles ou disparues. Pour le prix Marcel Duchamp, elle se base sur des observations zoologiques laissant à penser que certains animaux ont adopté des pratiques de type religieux en réponse à la catastrophe écologique.
La présence d’Ida TURSIC & Wilfried MILLE mérite d’être relevée, car elle signale la volonté de l’ADIAF de voir la peinture être représentée au Prix Marcel Duchamp. Contrairement à l’Allemagne, la peinture souffre en France d’une situation compliquée, induite par une tradition critique l’ayant fortement contestée depuis les années 1970. En jetant sur le médium pictural un regard distancié, jubilatoire et plein d’ironie, Ida et Wilfried s’interrogent sur la possibilité même de continuer à peindre. Entre abstraction et figuration, ils proclament, à l’instar de Picabia ou de Polke, leur indifférence au style : pour eux, tout est bon ! Connus pour leur appropriation d’images glanées sur internet, ou à des sources plus savantes, ils déstabilisent collectionneurs et spectateurs en les confrontant à leurs propres attentes.
Par quelle logique s’articule en tant que commissaire, votre implication depuis votre désignation, jusqu’à la collaboration avec les artistes ? Quels ont été les contingences, le grand challenge à relever ? Votre plus grande satisfaction ?
La sélection des nommés se fait au terme d’un long processus qui implique l’ensemble des membres de l’ADIAF. Le rôle du conservateur désigné par le directeur du Musée national d’art moderne est de les accompagner au mieux, en assistant aux délibérations du comité de sélection final. L’important est que soit représentée la diversité artistique de la scène française d’aujourd’hui. De ce point de vue, le retour de la peinture me satisfait. Une fois la sélection faite, le conservateur accompagne les artistes nommés. L’expérience fut pour moi très instructive.
L’acte au regard des artistes ayant choisi de déployer leurs œuvres au-delà de l’espace muséal habituel s’est opéré comment ?
Katinka et Eric ont immédiatement manifesté leur intérêt pour des espaces interstitiels. Avec Dorothée LACAN et Corinne MARCHAND, nous nous sommes assurés de rendre leurs désirs réalité en travaillant avec toutes les directions concernées au Centre Pompidou, garantes notamment des questions de sécurité. C’est ce genre de défis qui fait le sel de notre métier !
Dans notre paysage d’inéluctable ‘mondialité’, quelle spécificité, de votre point de vue, occupe un art d’esprit français, comme celui défendu par l’Adiaf – notamment par les expositions remarquables conduites cette année en Chine ou en Argentine.
Je trouve dangereux d’essentialiser une pratique artistique. Il me semble plus pertinent de parler « d’art en France » que d’« art d’esprit français ». Notre pays se distingue par la pluralité des formes d’art qui s’y développent, notamment grâce aux apports d’artistes aux multiples origines. Je trouve formidable que l’ADIAF défende à l’étranger cet art pluriel né en France.
Quel rôle joue de la séance du rapporteur ? L’incidence d’une présentation inadéquate, peut-elle lors de la délibération des jurés, faire souffrir une œuvre sublime ? Avez-vous été sollicité pour promulguer quelques conseils ?
N’étant pas dans la peau des jurés, il m’est difficile d’évaluer le degré selon lequel la prestation des rapporteurs importe, plus ou moins que les œuvres présentées : je suppose que cela dépend des jurés. Les rapporteurs sont désignés par les artistes nommés. Ce sont des gens de grande qualité et chacun d’entre eux se passe largement des conseils du commissaire de l’exposition !
Par David Oggioni
Infos :
Prix Marcel Duchamp 2019
Centre Georges-Pompidou
Place Georges-Pompidou, Paris 4e
du 9 octobre au 6 janvier 2020
Lauréat Eric Baudelaire