Régis Perray, poésie du trivial
J’ai rencontré Régis Perray en 2009, lors d’une escapade d’Artaïs, dans le car qui nous conduisait à Saint-Quentin, où il exposait en compagnie de Julie Legrand et de Julien Gardair.
Il avait fait de ce voyage une performance, en s’accompagnant d’un loup de ramoneur en guise de bâton de pélerin. A cette époque, les objets du quotidien le plus trivial sont ses outils. Les gestes les plus répétitifs singent ceux des peintres : c’est ainsi que pour son diplôme des beaux-arts de Nantes, il brique le parquet de son atelier, jour après jour, puis les marches de l’école… Il parcourt inlassablement le labyrinthe de la cathédrale d’Amiens…
La même année, au centre d’art Micro Onde, il a « mis en travaux » l’espace d’exposition en dépoussiérant une cornière inaccessible, en rebouchant les trous du pilier avec de la pâte à modeler, et en posant des pavés de bois qui rendaient la marche malaisée. Il y a également installé, au pied d’un mur, une pelleteuse de la taille d’un jouet, qui semblait attaquer le mur. Clin d’oeil à l’aspect ludique de son travail…
Les paysages urbains en chantier sont l’un de ses terrains de jeu : il les balaie, les nettoie, les photographie. Ainsi, il capture des séries de bennes, mais aussi de matelas abandonnés dans la rue, ou de tapis qui pendent aux fenêtres.
Il a entrepris également une série de ponçages de tableaux soigneusement choisis dans les brocantes, méprisés par les professionnels de l’art, et dont son geste multiplie la valeur, artistique et marchande.
Ce travail protéiforme se développe dans des vidéos comme « Serial Floors » dans laquelle il compile 70 séries policières dont il extrait les images montrant des cadavres (vidéo « déconseillée aux moins de 12 ans » !).
Simple déplacement, ironie ou dérision ? Je ne crois pas. Son propos, j’en trouve l’essence dans son dictionnaire intitulé « Les mots propres », dont voici quelques extraits :
« ASTIQUER. Aimer pour faire briller
EAU. Quand l’eau du torrent ne coule plus, la montagne est triste.
LOIN. Courir pour aller plus vite, balayer pour aller plus loin.
SISYPHE. Quand je serai grand, j’aiderai Sisyphe à se reposer. »
Pour Régis Perray il s’agit de faire le ménage. Et il y a du travail !
Nettoyer pour chasser les souillures (il balaie même le désert !), jeter ce qui nous empêche d’aller à l’essentiel, tout ce qui encombre et pollue notre espace intime.
Toute activité humaine génère des rituels, qui sont les conditions de sa production. Ici, c’est le rituel même qui devient l’acte créatif. Dans les sanctuaires anciens, le balayage était un service du culte, un rôle sacerdotal. Celui qui l’effectuait devait avoir les mains pures.
Avec l’air de ne pas y toucher, Régis Perray nous conduit bien plus loin qu’il n’y paraît !
A Maubuisson, il nous invite à poursuivre cette tâche, à en prendre notre part : le monde tout entier est un chantier dont nous sommes les ouvriers. L’art y apporte du sens et de la beauté.
Par Dominique Chauchat
Infos :
abbaye de Maubuisson
avenue Richard de Tour, Saint-Ouen l’Aumone
L’abbaye fleurie
du 4 octobre au 26 juin 2016