LES POLLINISATIONS SUBTILES DE PATRICK NEU
Poursuivant ses programmations de monographies sur un temps long, c’est au tour de Patrick Neu d’être invité par l’abbaye de Maubuisson à se confronter à cette architecture rigoureuse et austère où la vie close et recluse égrenait les heures et les jours. Une temporalité qui rejoint celle défendue par l’artiste, chantre de la lenteur et de la simplicité. Il imagine un hommage à ces moniales, inconnues solitaires qui faisaient acte de devoir en renonçant au plaisir et attributs féminins à l’instar des abeilles dont la vie en communauté, sous l’égide d’une reine, est régie par les mêmes contraintes. Un parallèle qui traverse de nombreuses œuvres conçues spécialement pour ce lieu, jusqu’à envisager de confier l’une de ses pièces à ces ouvrières mellifères avec l’aide d’un apiculteur des Vosges du Nord, région de l’artiste, pour arriver à une ruche hybride, laboratoire aléatoire et réplique en 3D d’une des salles de l’abbaye.
Alternant œuvres existantes et nouvelles créations, le parcours tout en enfilade selon la volonté de l’artiste, fait inhabituel, est à l’échelle de l’infiniment petit et du minutieux. Une pratique qui demande rigueur et concentration, comme avec cette armure en cristal ou camisole de force en ailes d’abeille. Des matériaux à contre-emploi d’une grande force poétique.
Pour le passage aux champs, Patrick Neu a imaginé un long voile de cheveux naturels tissés, suspendu sous cette voute en arc brisé,en écho à ces destins de femmes qui devaient, pour « porter le voile », renoncer à leur chevelure.
Dans la salle des religieuses, on retrouve la série des meubles-vitrines dont les parois graphiques conçues à partir de noir de fumée reproduisent des scènes mythologiques ou historiques célèbres, comme l’évocation des 7 péchés capitaux, pièce nouvelle en parfaite résonnance en ces murs.
Une mémoire emprisonnée, sous cloche, qui ne demande qu’à ressurgir. Comme cette odeur sucrée qui vous saisit à la fin du parcours, fruit du travail des abeilles dans la structure désormais pollinisée et future œuvre de l’artiste.
Fugitive et subtile expérience d’un artiste rare, dont le public a pu apprécier toute la virtuosité au Palais de Tokyo lors de sa première grande exposition en 2015, et qui aime se retrancher loin des circuits habituels pour donner naissance à des projets patiemment conçus.
Et comme le résume Isabelle Gabach, directrice adjointe de Maubuisson, la parfaite osmose entre ce temple d’une mémoire intime, fragile et oubliée et la chance qui nous est offerte de ralentir, instille un climat unique autour de la rémanence des images, leur possible convergence avant que l’oubli ne les recouvre.
Par Marie de la Fresnaye
Infos :
Echos
exposition personnelle de Patrick Neu
du 7 octobre au 17 mars 2019
abbaye de Maubuisson
centre d’art contemporain du Val d’Oise
Avenue Richard de Tour, 95310 Saint-Ouen-l’Aumône