Julien Creuzet, Ikeart

Par David Oggioni18 avril 2018In Articles, 2018, Revue #18

Œuvre inédite, la Fondation Ricard et Bétonsalon s’harmonisent pour étendre solidairement dans leurs deux espaces, la pensée éclectique de Julien Creuzet, le poète.

Le double titre, entre poème et haïku, offre un indice du propos : le mancenillier, arbre à port majestueux parfois inquiétant, classé par le Guiness World Records comme le plus dangereux de la planète. Les esclaves en glissaient parfois le suc, auquel seul l’iguane vert survit, dans les breuvages des négriers.

En ébénisterie coloniale, son essence veinée brun-jaune semblable au poirier, était exploitée et valorisée en commode bordelaise XVIIIe, sans que l’on sache alors que sa substance sert aujourd’hui pour engendrer des cancers chez les souris de laboratoire. Entre autres dangers, ironie du sort : il rend aveugle.

Cette habileté à déjouer les arcanes des mythifications, est l’une des pratiques que l’artiste met en œuvre afin de mieux occuper l’espace, et inquiéter les évidences généalogiques des récits anthropologiques, en les tressant, les catalysant et en leur offrant un mouvement, tel un troubadour.

Elle est également une mise en forme de la philosophie d’Edouard Glissant dont le glossaire s’est bien incarné au sein du milieu de l’art contemporain : aussi, la Biennale de Lyon dont Creuzet reçut le Prix 2017 de l’Artiste Francophone, se déployait-elle comme « une promenade au sein d’un archipel d’îlots » – dixit la commissaire Emma Lavigne – qui avait déjà introduit cette notion glissantienne lors des dix ans du Prix de la Fondation Ricard au Centre Pompidou.(1)

Mais Creuzet se situe au-delà même des stéréotypes et créolisations : en observant les chaos du monde, il assemble de quoi produire une pensée de complémentarités plutôt que des différences.(2), pour générer des pulsions scopiques.

Pour ce faire, tel un alchimiste quimboiseur -maître des connaissances en martiniquais- il fusionne les codes des schémas artistiques tout en les restituant en potion antidote cathartique. A partir de tout petits riens, il élabore des désinences, comme avec le visuel de l’exposition -image de pseudo-méduse urticante, readymade via navigation google, dont le nom vernaculaire(3) dit la sournoiserie toujours active des esclavages du capital.

S’il sait saisir l’histoire du temps, l’artiste ricoche sur les sens, via WhatsApp, Bogota, Bamako, Casablanca, quêtant la formule – magique ? – pour un monde plus présent qu’en devenir ; toutefois cet événement muera, une fois terminée la partie à la Fondation Ricard, en un troisième volet, sorte de canopée organique sous les 6 mètres de plafond de Bétonsalon, où l’on évoluera entre la douceur de son regard orangé et son amour infini pour l’autre, pour l’être, pour l’art.

(1) Les Archipels réinventés : 10 ans du prix Fondation d’entreprise Ricard, Centre Pompidou octobre 2009

(2) Achille Mbembe Politiques de l’inimitié, 2016 

(3) Physalia physalis, La Galère portugaise – Caravelle Espagnole, image google, 2017

 

Par David Oggioni


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