« De mémoire » Pauline Bazignan, au Fort Saint-André
« De mémoire » Pauline Bazignan, au Fort Saint-André
Dans le texte introductif à l’exposition, Philipe Bélaval, président du Centre des monuments nationaux souligne l’accord profond du lieu et de l’artiste, en préalable à toute présentation d’art contemporain dans un environnement patrimonial. Avec l’exposition « De mémoire » de Pauline Bazignan, présentée au Fort Saint-André de Villeneuve-lez-Avignon, il est évident que cet accord profond a eu lieu tant la proposition artistique résonne sensiblement avec l’édifice fortifié. Pour découvrir l’ensemble des œuvres, toutes réalisées pour l’exposition, il faut parcourir le lieu dans son entier, prendre des escaliers de pierre aux marches irrégulières, être attrapé par la lumière découpée d’une meurtrière, traverser le chemin de ronde à la vue panoramique (magnifique !), passer d’une salle voûtée à une autre – à la charpente démesurée -, certaines laissées vides…
La première toile se trouve dans la chapelle, mise en regard des fragments d’une fresque représentant le Christ crucifié. Pour qui connaît les peintures de l’artiste, cette toile annonce un écart dans le travail puisqu’il remarquera à côté de la coulure principale – point de départ, ancrage de la peinture – une deuxième coulure, à moitié effacée. La surprise ira croissant, car, au fur et à mesure du parcours, ce ne sont plus sur les toiles ni une ni deux, mais un crescendo de lignes qui viennent fendre la surface, parfois jaillissant par le haut. Alors qu’on assimile souvent les cercles et les éclats de ses toiles à des fleurs ou à des éclosions végétales, on pense davantage ici à un passage de météorites, à un entrelacs d’éléments en fusion dans un univers plus cosmique.
Mais est-ce si surprenant que cette forteresse datant du Moyen-Age, chargée d’histoires et de mémoire, ait inspiré l’artiste, quand on sait qu’à ses débuts, ses œuvres étaient consacrées au thème de Saint Georges terrassant le dragon ? Et que le plaisir de la « bataille », elle l’ait retrouvé, de manière décuplée, en réalisant de mémoire le grand format, inspiré par La Bataille de San Romano de Paolo Uccello (circa 1436) ?
Tout étonne dans ce tableau qui clôt l’exposition : le grand format, le fond noir, la vivacité des lignes, la fugacité d’un motif, la puissance charnelle de la peinture. Un vrai tableau d’histoire ! Face auquel la mémoire du visiteur tente de recomposer, elle aussi, ce qu’elle a gardé du célèbre tableau du Louvre.
Autre nouveauté aussi, dans la salle des Herses, c’est la première fois que l’artiste présente des vidéos. Deux courtes boucles de matières en mouvement sont directement projetées sur les murs, comme inscrites dans la pierre et la faisant palpiter.
C’est sans doute dans la « Salle des graffitis » que l’exposition entre en écho d’une manière la plus émouvante avec l’histoire du fort. Dans cette salle où les prisonniers et les soldats ont gravé dans le sol des dessins, aux motifs à la fois quotidiens – comme un plat, des cuillères -, ou des signes religieux, des symboles, un cœur, l’artiste est venue déposer sur le sol des sculptures d’agrumes, blanchies après avoir été brûlées de l’intérieur. Sous les vitres qui les protègent autant qu’elles les enferment, ces concrétions carbonisées, qui ont donné leur cœur au feu, sont pour l’artiste « la trace de quelque chose qui a existé mais qui n’est plus ». Traces du passé, mémoires in/visibles, chacune ravivée dans sa fragilité par la présence de l’autre. Au Fort Saint-André, l’exposition « De mémoire » réussit à rendre palpable le sentiment qui, après sa disparition, donne grâce à la vie.
Par Marie Gayet
Infos :
Exposition « De mémoire » Pauline Bazignan,
Fort Saint-André,
Montée du fort, Villeneuve-lez-Avignon (30)
Jusqu’au 22 septembre 2019
www.fort-saint-andré.fr