Prix Sciences Po 2018 pour l’art contemporain
Le service des Projets Collectifs de Sciences Po, organise un prix étudiant d’initiative professionnalisante. Une équipe de cinq personnes sous tutelle d’une responsable est en charge de la 9ème édition souhaitant proposer un thème engagé qui puisse résonner au niveau intime comme sociétal, autour de la volonté de recréer du lien et du sens, des possibles, en faisant advenir une part du monde réel au sein de l’académisme de l’école, en l’interpellant de manière pertinente au moyen de l’Art. Partant du constat que le pire pour l’artiste serait l’indifférence, il fallait un thème non consensuel afin d’aiguiller les candidats vers des œuvres portées plutôt par la pensée que par le simple formalisme esthétique. Le challenge fut de confronter les indifférents à leur propre indifférence par le biais de l’art contemporain, au sein du hall de l’Hôtel de Fleury.
Sur 112 binômes d’artistes et de curateurs, le jury de professionnels a sélectionné 8 artistes. Les œuvres des finalistes ont en commun de proposer des prises de positions fortes questionnant la façon dont on s’intègre et faisons corps avec la société ainsi que les ressorts par lesquels elle nous instrumentalise, nous rejette et nous acculture.
Arnaud Dezoteux, à l’aide d’un drone, pose un regard déshumanisé sur le monde rural sidéré, questionnant le problème de l’altérité et de l’interaction, où l’homme et la nature ne sont plus en mesure de négocier.
Simon Ripoll-Hurier nous invite à tendre l’oreille aux sons anodins qui nous font du bien, au moyen d’un documentaire où le hors champs devient l’acteur, connectant ainsi notre inconscient à nos émotions.
Gaëlle Choisne confronte son corps d’artiste féministe métissée à des planches de physiognomonie hollandaise du XVIIIe siècle, évoquant la science permettant de déduire le caractère de quelqu’un par ses caractéristiques physiques. L’école positiviste qui en découla au siècle suivant, ne permit ni à la criminologie de trouver une vérité scientifique ni à empêcher le développement du nazisme. Toutefois ces principes continuent d’alimenter sournoisement les poncifs sur l’apparence dans la quasi indifférence générale.
Mawena Yehouessi, formée à la philosophie esthétique propose des animations où se superposent images publicitaires coloniales et slogans anti-raciaux, tentant de nous sensibiliser via les codes de l’immédiateté du marketing, aux pernicieux messages subliminaux qui nous manipulent.
Natsuko Uchino nous propose de reconsidérer les paramètres d’une œuvre en valorisant les circuits courts, les micro-initiatives et les artisanats.
Julien Creuzet propose une chanson courtoise sur l’altérité, scandée au rythme du battement du cœur, dont les paroles nous interpellent quant aux délits de faciès et à notre tendance à formater le monde selon nos regards normatifs, nous invitant à sortir de la boîte à prismes.
Prix du Public
Marwan Moujaes oppose l’Histoire des hommes au don de mère nature ; l’artiste a installé des ruches dont les abeilles, qui ont butiné les fleurs d’un cimetière juif abandonné de Beyrouth, ont fourni un miel dont il confectionne des bonbons qu’il nous propose de goûter. Sa poétique nous permet de considérer à quel point la communion et le don surpassent les guerres et les clivages.
Prix 2018
Eva Chabanon, depuis sa résidence à la White House en agglomération londonienne, orchestre dans un conseil municipal, la performance filmée d’une communauté d’un quartier victime de la gentrification par suite des lois britanniques permettant de privatiser des logements sociaux, signant ainsi des arrêtés de mort à la socialisation de gens en difficulté. L’artiste a convié des membres du Women’s Institute à réagir au débat politique autour de la dépossession, de la coalition en vue de régler des questions de survie. Par la réoccupation de l’espace public, politique et démocratique, elle prouve que l’Art peut redonner voix à un débat public qui ne peut plus avoir lieu.
Par David Oggioni