14e Biennale de Lyon « Mondes flottants »
La 14e Biennale de Lyon, évènement incontournable de la scène artistique européenne, explore la modernité sous le titre de « Mondes flottants » avec 75 artistes internationaux pour ce deuxième épisode confié à Emma Lavigne, actuelle Directrice du Centre Pompidou Metz. Cette Biennale se déploie comme un paysage en perpétuelle recomposition conçu pour une traversée en six chapitres comme autant de promenades incitant à porter un nouveau regard sur le monde et surtout propices à une divagation où les « mondes flottants » seraient arrimés dans cette ville traversée par le Rhône et la Saône. Son titre fait référence aux estampes japonaises de l’époque Edo appelées ukiyo-e, « images du monde flottant » et son identité visuelle s’est construite autour de l’œuvre de l’artiste japonais Shimabuku, transformant le ciel en paysage où des vaches voguent dans l’espace, observant le monde et ses habitants.
La Biennale se déroule sur trois lieux principalement : dans l’ancienne usine de la Sucrière, perçue comme une possible dépouille de la Factory d’A.Warhol par la commissaire, au musée d’art contemporain (MAC) et au Dôme, Radôme de R.Buckminster Fuller créé en 1957 et installé sur une place centrale de Lyon. Elle étend ses ramifications sur toute la région Auvergne-Rhône-Alpes avec l’exposition « Rendez-vous» et la jeune création internationale à l’Institut d’Art Contemporain de Villeurbanne, « Veduta », un programme permettant aux artistes invités de travailler avec les habitants des quartiers politiques de la Métropole, et enfin « Résonnances » avec 150 manifestations dans de nombreuses villes. Deux expositions y sont associées avec « Sept Histoires » de Lee Mingwei à la Fondation Bullukian où un temps d’écoute et de méditation est proposé aux habitants, et l’artiste coréen Lee Ufan, invité au Couvent de la Tourette, qui propose « des chambres du silence » dans un dialogue subtile en parfaite adéquation avec l’architecture rigoureuse de Le Corbusier.
Les promenades, hautement habitées par la musique et la poésie, relient les œuvres qui entrent en porosité avec d’autres formes et champs dans des espaces ouverts. Elles sont une « tentative de capter l’harmonie d’un monde sillonné de dissonances » selon Emma Lavigne.
Les jalons de la modernité sont posés dès la première salle du MAC, avec « La boîte-en-valise » de M.Duchamp en dialogue avec l’œuvre récente de Y.Mohri proposant une variation sur « Le Grand verre » avec un théâtre d’objets mettant en jeu différents phénomènes scientifiques. Les disques réfléchissants et diffuseurs de sons de C.W.Evans, inspirés des mobiles de Calder, proposent un concert spatialisé, dans un paysage de signaux sonores et lumineux en totale harmonie avec les œuvres des artistes du groupe ZERO. Cette relecture de la modernité se poursuit avec l’environnement d’E.Neto, véritable labyrinthe blanc aux formes enroulées ou suspendues, dans lequel le visiteur est invité à pénétrer, et qui revisite les sculptures biomorphiques de J.Arp et A.Calder présentées dans l’espace. Les partitions abstraites et colorées de l’œuvre symphonique de J.Voigt, inspirées par « Le chant de la terre » de G.Mahler, parsèment le parcours révélant les flux et formes qui régissent le monde.
Mais l’espace peut devenir expérience et matière comme chez L.Almarcegui avec un monticule de débris déversés, provenant de la démolition d’un bâtiment voisin. D.Aitken déconstruit aussi l’espace et propose une excavation dans le sol d’un des silos emplie d’eau laiteuse, et où une pluie d’eau se déverse par moments diffusant un son amplifié par des haut-parleurs invisibles. Un autre silo accueille l’installation de S.Fritscher, révélant les flux de résonnance de l’espace avec une structure composée d’hélices en mouvement proposant une expérience visuelle et sonore fascinante. H.Haacke utilise les énergies comme matériaux pour ses œuvres qui se déploient telles des éléments naturels. Une grande pièce de soie blanche « Wide white flow », ondule en permanence dans le hall central de la Sucrière, telle une étendue d’eau à la surface irisée.
La poésie est un autre fil conducteur et nombreuses sont les citations de Baudelaire à Mallarmé, de Rimbaud à R.M. Rilke ou encore T.S.Eliot. R.Barry, structure l’espace avec « Love to », quand R.Neuenschwander met son lexique de mots à disposition du visiteur afin qu’il puisse composer ses propres messages. J. Creuzet propose un vaste opéra-archipel inspiré par Edouard Glissant, sous la forme d’un jardin à la française, où il se réapproprie et met en scène des récits historiques antillais mais aussi des signes de la culture populaire et différents objets références aux traumas de notre époque. M.Ohanian fait résonner en huis-clos la poésie nomade sur un toit flottant de New York au cours d’une nuit profonde dans un rythme fragmenté.
C.Norment propose une expérience sensorielle au son des chants afro-américains si vous prenez le temps de vous asseoir sur un des balcons de la Sucrière, face à la Saône. Envoûtant.
Le cheminement à travers ces « mondes flottants » se termine avec des œuvres interrogeant le cosmos et les phénomènes liés à l’écoulement du temps. Les œuvres de L.Fontana entretiennent des correspondances avec les lunes de verre de D.Blais ou encore avec l’arc-en-ciel de J.Hao et L.Wang, capture de cet élément indomptable qui se déplace avec le spectateur puis disparait. T.Saraceno rend perceptible les flux de l’invisible en dirigeant un faisceau lumineux sur une toile d’araignée tandis qu’un autre faisceau met en évidence l’image d’une galaxie, toile du cosmos.
Entre la Sucrière et le MAC, le Radôme de R.Buckminster Fuller, icône de l’architecture utopiste, sert d’écrin à Céleste Boursier-Mougenot qui présente une quarantaine de bols de porcelaine blanche aux tailles différentes qui s’entrechoquent délicatement à la surface d’un bassin circulaire empli d’eau turquoise et génèrent une musique cristalline sans cesse renouvelée et amplifiée par le dôme.
Dans cette belle édition, Emma Lavigne nous invite à regarder le monde au cours d’une promenade douce et mélancolique où l’on se laisse envahir par les sons et les mots et flotter vers d’autres rives.
Par Sylvie Fontaine
Infos :
Musée d’Art contemporain
81 quai Charles de Gaulle, Lyon
La Sucrière
49-50 Quai Rambaud, Lyon
Le Dôme
Place Antonin Poncet, Lyon
jusqu’au 7 janvier 2018