jusqu’au 20 janvier 2019
L’exposition « Radio » est le 3ème volet du cycle « Tomorrow’s Sculpture » pensé par Katinka Bock et présenté pour la première fois dans trois institutions de façon consécutive, dont le Kunst Museum de Winterthur, le Mudam de Luxembourg et l’Institut d’art contemporain à Villeurbanne (IAC). Si à Winthertur se déployait un paysage narratif, au Mudam deux espaces interagissaient entre eux comme deux écosystèmes où la forme processuelle était mise en exergue.
A l’IAC, dans cette ancienne école Jules Ferry où les salles de classe se succèdent, Katinka Bock amorce une nouvelle histoire tout en développant ses questionnements récurrents que sont le rapport à l’espace et au temps à l’aide de matériaux naturels comme la terre cuite, le bois, le plâtre, le tissu et le bronze qu’elle associe à des objets récupérés. Comme dans le travail de Joseph Beuys qu’elle admire particulièrement, ces matériaux sont des catalyseurs d’énergie et sont associés au flux de la vie.
Katinka inscrit toujours son travail en lien avec le contexte et le territoire dans lequel il est montré et présente ici pour moitié des productions spécifiques. A Villeurbanne, intéressée par la question « qu’est-ce qu’un centre-ville ? » et fascinée par les nouveaux ensembles architecturaux de grande hauteur apparus au début du 20è siècle sur les terrains vagues de cette commune limitrophe de Lyon, elle décide de travailler sur la notion d’horizontalité toutefois scandée de verticalité. La verticale que l’homme représente, est fondamentale dans son travail puisqu’elle relie deux horizons que sont la terre et le ciel. Cette tension entre deux est aussi le fil conducteur de l’exposition : rencontre entre deux êtres, entre deux positions, entre paysage et objet… La temporalité du processus créatif est un autre élément récurrent chez cette artiste et l’évolution de l’œuvre est alors laissée au hasard. Au spectateur de la suivre tout au long de l’exposition.
Dans la première salle, le visiteur se trouve face à un sol en terre crue blanche qu’il est invité à parcourir laissant ainsi les traces de sa présence. Ce sol sera par la suite cuit et réinstallé dans le lieu, et gardera la mémoire de ces passages. Trois colonnes ponctuent encore l’espace, dont deux ont été soumises aux intempéries et à l’érosion naturelle du temps. Dans la salle suivante, un radiateur prélevé dans l’appartement de l’URDLA1, lien entre espace domestique et espace d’exposition, sert de socle à une sculpture. Dans un angle de la pièce, la dimension climatique est convoquée avec une présence sensorielle : une chaleur perceptible même si invisible. Une porte, en provenance du Mudam, a gardé les empreintes des visiteurs. Au-delà, des cactus moulés en bronze, horizontaux et verticaux, défient les forces de l’attraction et nous rappellent le principe de la gravité. Les pièces naissent dans l’atelier et prennent forme dans le lieu d’exposition où elles sont accrochées, suspendues ou retenues et entrent en résonnance entre elles et avec l’espace, comme les notes d’une partition de musique avec ses pauses et sa ponctuation. L’exposition devient alors une extension de l’atelier, un lieu de révélation. Autre « révélation » pour ces plaques de cuivre aux couleurs oxydées chatoyantes, suite à leur exposition aux intempéries sur le toit du Mudam, qui serviront de socle pour les « gisants », formes enroulées en plâtre à l’échelle humaine. Au mur, une ligne d’horizon se dessine avec ces branches ramassées en ville et transformées en bronze, segments finis et ligne infinie. Katinka a depuis toujours photographié pour comprendre les phénomènes, les choses. Elle distille ici et là discrètement, derrière des plaques perforées, les images de la marque des gestes et du temps qui passe avec les traces laissées sur les céramiques, les tissus, la peau, … afin de donner à voir des microphénomènes et des micro-incidents. La porosité entre extérieur et intérieur et les conditions météorologiques sont une fois de plus convoquées avec « je te tiens », puisque l’artiste a détourné une gouttière d’eau pluviale afin de provoquer dans l’espace muséal les jours de pluie, un goutte à goutte subtil entre deux vitres.
Enfin l’exposition se termine avec « les affres », une poétique évocation de la nature avec un ciel clairsemé d’écorces de platane glanées à Villeurbanne, métaphore du désir de traversée des nuages et de l’incapacité pour l’homme à franchir certaines lignes.
Fluctuation incontrôlée et altération avec une balance où deux citrons, choisis pour leur forme et leur couleur dans un hommage à Joseph Beuys possiblement et à l’histoire de l’art certainement, font contrepoids et devront être régulièrement changés afin de maintenir cet équilibre précaire.
Avec un intérêt sans fin pour les sciences humaines, autant physiques que mathématiques, Katinka Bock ouvre une perspective visuelle sur des entités parfois inaccessibles avec simplicité et poésie.
Et de conclure « Pour moi, l’art reste toujours dans la vie, c’est une contribution à la vie ».
Par Sylvie Fontaine
1 URDLA : « Utopie raisonnée pour les droits de la liberté en art », aujourd’hui centre international estampe & livre