Hoël DURET : Too Dumb To Fail
Galerie Édouard-Manet Gennevilliers
Jusqu’au 17 mars
Claude Levi Strauss, nous rappelle Hoël Duret, imagine la création des mythes de même que toute élaboration de la pensée humaine tel un bricolage d’assemblages ataviques. (La pensée sauvage,1962.)
Aussi la mise en œuvre de l’artiste procède t’elle par spicilèges immersifs, superposant les scénarii, les pratiques et les références, dont la matière première serait l’histoire de l’art, des avant-gardes et leurs utopies. Entre design et objets d’art, il est l’ensemblier d’objets ironisant sur les artefacts archétypaux, extrudant ainsi un opéra dont la morale pointerait le cynisme de l’absurde.
À Gennevilliers, il se propose de nous embarquer dans le style paquebot naviguer vers la joie dépressive des croisiéristes : après avoir bien lu son texte introductif – opuscule pitch qui annonce notre mise en abîme, on bascule dans une scénographie entre bande annonce et diorama.
Le montage est à l’image de la nouvelle de David Foster Wallace dont il s’inspire, écrivain ovni nourri par les thèses post modernistes et marqué par la volonté stylistique de rompre avec la linéarité narrative en multipliant les notes en bas de pages tout en les amalgamant d’abréviations et acronymes ; il inspira – avant son suicide, le monde télévisuel des séries états-uniennes tout en fréquentant les tournages de David Lynch.
Accueillis tout d’abord par les affres d’un protoplasme de tuyau empoisonné, se déploie ensuite une galerie de portraits de personnages, éclairés de sorte à citer les lumières du film inachevé de Clouzot, l’Enfer, 1964, tournant en boucle en des écrans led verticaux.
Car tout va mal sur ce titanic tourné partiellement au musée Éscal’atlantique de Saint-Nazaire : en effet l’avatar de l’artiste, Harvey ne veut pas écrire l’histoire promotionnelle pour laquelle il est missionné, et va saboter le vaisseau par empoisonnement, afin qu’en s’échouant sur les côtes amazoniennes, loin de la torpeur de cette atmosphère de karaoké d’eurovision, il puisse rejoindre au plus tôt, une fête itinérante de tecno-brega*, conduite sur des soundsystèms carnavalesques, par des autochtones syncrétiques, sur les traces de Fitzcarraldo, aux alentours de Maracaibo.
Parmi les trésors de cette future épave de l’incroyable, l’on pourra contempler l’effet de cette toxémie sur notamment la gastrique des luminaires : Hoël Duret en a soufflé sur 12 couches le verre en style École de Nancy – convoquant les flores et champignons éclairés d’Émile Gallé pour les frères Daum, et l’a ensuite fondu lors d’une dernière cuisson, pour stipuler l’envenimation. Sick Pipes, 2017.
Leurs pieds, en acier patiné cuivre, auto-inspirés de son Un Confort sans fin, 2015, s’entrelacent organiquement avec leur fil gainé, comme si le poison les avait fait revenir du style Art Déco par celui de l’Art Nouveau via la vision de William Morris – peut être une réminiscence de We sit starving amidst our gold, peint par Stuart Sam Hughes en 2013, présenté à la biennale de Venise au pavillon anglais de Jeremy Deller, conjurant les terrifiants navires traversant la lagune de la sérénissime.
Les peintures de Duret sont ici des toiles peintes directement au tube d’acrylique format drap de bain explorant des motifs « reflets d’eau au clair de lune », sondant l’univers des Pierrefeu: coulantes sans châssis, elle sont nonchalamment posées sur une console narcisse porte-serviette hybridé barre d’échauffement, en hêtre huilé de style streamline, dont le panneau miroir en verre laqué noir et sablé de logos d’inspiration abstraite évoquent la liquidité du temps: Standing Black Mirror 2017.
Tel un paravent Poiret en laiton repoussé et soie, celui de Hoël à impression sur la toile de coton de vue anamorphosée Sunset boulevard depuis le fond d’une piscine, nous apporte un peu d’air frais, tandis qu’un boudin-de-porte – estomac-de-mer en coton noir, repose non loin comme simple représentation du monde sous-marin.
Cependant que son odyssée nuit gravement à tout éventuel désir pour cette méthode touristique, l’artiste, comme le titre de l’exposition l’indique, a bien trop les pieds sur terre pour commettre de faux-pas: il s’avère que l’histoire d’amour entre artistes contemporains et références à l’histoire de l’art, au-delà d’être une simple relation congénitale, permet des citations qui, loin d’en limiter la lecture ou le regard, envisagent de lui rendre hommage, en générant une émulation qui repousse les frontières holistiques. En effet Clement Greeneberg(1) nous apprend-t-il que l’essence du modernisme qui marche en boucle, serait d’utiliser ses propres fondements pour mieux les critiquer…avant d’en tirer profit.
David Oggioni
• Art et Culture, 1961
*Tecno-Brega , version moderne de la Brega, musique romantique brésilienne des années 50-60.