20e prix de la Fondation d'entreprise Ricard

Par Patrick Scemama29 novembre 2019In Revue #23, Articles, Paris, 2019

Le Prix Ricard a pour mission de récompenser un jeune artiste français ou vivant en France, en lui achetant une œuvre d’une valeur de 15 000€ qui sera offerte et exposée au Centre Pompidou, et en lui offrant une aide pour une exposition dans un centre d’art à l’étranger. Mais le principe en est qu’un seul commissaire assure la sélection des artistes, ce qui a parfois donné lieu, lors des éditions précédentes, à des résultats surprenants.

Ce n’est pas le cas avec Claire Le Restif, la directrice du Crédac, qui a choisi des artistes qu’elle a, pour la plupart, déjà exposés, mais qui n’en sont pas moins représentatifs des différentes tendances de la scène française d’aujourd’hui. Elle n’a pas cherché à trouver un thème à cette exposition ou à la faire entrer de force dans un cadre préconçu. C’est juste si elle lui a donné un titre, Le Fil d’alerte, qui, écrit-elle, « est un titre métaphorique pour qualifier la relation que le curateur entretient à son milieu », mais qui pourrait aussi qualifier la posture qu’adoptent les artistes eux-mêmes face au monde dans lequel ils vivent. Alerte face aux questions identitaires, économiques, écologiques, féministes, raciales, etc., mais aussi devoir de mémoire, de célébration, d’inscription dans une histoire commune.

Ils sont donc neuf, quatre garçons et cinq filles, nés entre 1978 et 1988, ayant des pratiques aussi différentes que la peinture, la photo, la sculpture, l’installation, etc. Tous, cependant, ne sont pas aussi avancés dans la carrière : Kapwani Kiwanga, par exemple, qui présente une conque en pâte de verre (symbole du rassemblement en Haïti, le premier pays colonisé de l’histoire à avoir pris son indépendance), est déjà lauréate de plusieurs récompenses. Mais tous ont autant à cœur de s’impliquer dans la société.

Ainsi, Estefania Peñafiel Loaiza photographie-t-elle des vidéos de caméras de surveillance placées aux abords de la frontière entre les Etats-Unis et le Mexique, par exemple, en laissant l’obturateur ouvert (du coup, les traits des éventuels migrants disparaissent pour ne laisser que des contours fantomatiques, leur procurant la protection de l’anonymat) ; ainsi Marcos Avila Forero s’intéresse-t-il  à des retraités de l’industrie métallurgique japonaise, en leur demandant de reproduire les gestes qu’ils effectuaient pendant leur travail, puis invite un théoricien à analyser ces gestes et enfin à un calligraphe à les transposer ; ainsi Gaëlle Choisne fait-elle un moulage en savon de son pied, en travaillant avec une entreprise d’Alep qui a continué ses activités, malgré la guerre ; ainsi Simon Boudvin, taille-t-il un bureau dans du bois d’ailante, cette plante exotique qui a conquis les villes européennes et qui pousse sur les décombres, les tas d’ordures, aux abords des habitations… 

Corentin Canesson et Sarah Tritz, les deux peintres semblent aborder le monde de manière plus détournée, le premier s’inspirant, non sans humour, des poèmes de René Ricard (!), peintre et journaliste américain, proche du mouvement beat et de Warhol, tandis que la seconde, qui se passionne tout autant pour l’art brut que pour les décors de théâtre, réalise des jouets d’enfants et érige le bricolage au rang que la sculpture. Paul Maheke, enfin, qui est surtout performeur, en appelle aux cultures populaires et joue sur l’invisibilité. Et Eva Barto se situe délibérément en dehors de l’exposition, même si elle a accepté d’y participer.

Autant de propositions passionnantes, qui laissent la compétition très ouverte.

 

Par Patrick Scemama

 

Le lauréat du Prix Ricard est Marcos Avila Forero (article à venir dans le prochain numéro de la Revue Artaïs)


Infos :

Le fil d’alerte

Fondation d’entreprise Ricard

12 rue Boissy d’Anglas, Paris 8e

jusqu’au 26 octobre