15e Biennale d’art contemporain de Lyon : Là où les eaux se mêlent

 

Temps fort et attendu de cette rentrée artistique, la Biennale d’art contemporain de Lyon a pris un nouvel essor en quittant la Sucrière afin de s’installer sur le site des anciennes usines Fagor-Brandt, multipliant ainsi sa surface d’exposition par un facteur cinq. La manifestation se poursuit au macLYON, sur toute la métropole et en région Auvergne Rhône- Alpes avec 225 projets au travers de quatre plateformes : Veduta qui propose des interventions d’artistes en collaboration avec les habitants, Jeune Création Internationale à l’IAC de Villeurbanne avec dix jeunes artistes dont le prix est attribué à Charlotte Denamur, un programme Expositions Associées à la Fondation Bullukian avec Jérémy Gobbé et Andrea Mastrovito, au musée des Beaux-arts  avec Renée Levi et Antwan Horfee, à l’URDLA avec Mark Geffriaud, au couvent de la Tourette avec Anselm Kiefer et Résonance qui regroupe des propositions dans des galeries, centres d’art, lieux associatifs, etc. Il s’agit de « faire de la biennale une fête » nous déclare Isabelle Bertolocci nouvelle directrice qui succède à Thierry Raspail, ancien directeur du macLYON et fondateur de l’évènement.

En écho à la géographie de la ville, la biennale, dont le titre « Là où les eaux se mêlent » est emprunté au poème de Raymond Carver, donne la parole à 56 artistes pour la plupart peu connus du public, de toutes générations et nationalités, dont un tiers de français. L’équipe curatoriale, constituée de sept commissaires du Palais de Tokyo, a invité tous les artistes à visiter ce lieu gigantesque de 29.000 m2 et découvrir l’histoire et les stigmates laissés par son activité passée avec une signalétique forte, un sol marqué par des codes couleurs précis et des machines abandonnées depuis 2015. 90% des œuvres ont été produites in situ et de nombreuses sont issues de collaborations avec les entreprises régionales aux savoirs multiples et les Ecoles de Productions où les élèves préparent des diplômes professionnels en répondant à des commandes spécifiques au sein d’entreprises.

Yoan Gourmel, un des sept commissaires, nous indique vouloir ainsi proposer « un enchevêtrement de trajectoires entrelacées » à l’ère du Capitalocène. Pour illustrer les questions de flux – monétaires, de marchandises, d’informations et de personnes – s’est rapidement imposée l’idée de concevoir un vaste paysage ouvert aux multiples horizons où se déploient les thématiques biologiques, écologiques, politiques et économiques, dans les rapports entre vivant et non-vivant ou entre humain et autres espèces. Bien que conscients d’un état du monde alarmant, certains artistes proposent toutefois des œuvres poétiques, fantastiques ou encore humoristiques.

Dans le premier hall, passée l’arche colorée surmontée de « l’œil de la providence » de Shana Moulton, le spectateur se trouve face au roncier de Jean-Marie Appriou, symbole d’une nature qui reprend ses droits. Mais d’autres chemins s’offrent à lui, ainsi la possibilité de pénétrer dans l’espace du « Bureau des pleurs » envahi par le sable, où le mobilier détourné et la parole donnée aux habitants permettent de dessiner un futur possible. Au croisement entre mythologie et industrie, Nico Vascellari nous invite à une course absurde où les automobiles sont hybridées à des animaux. Les corps asexués de Malin Bülow, dissimulés dans des textiles élastiques attachés à l’architecture, jouent sur une ambiguïté entre objet, sculpture et corps humain dans des questionnements politiques et sociaux. Simphiwe Ndzube met en scène des processions vindicatives croisant récits coloniaux du Sud et révolte des canuts, dans un enchevêtrement de temps et de lieu. Léonard Martin érige une « Mêlée » gonflable, sorte de marionnette géante carnavalesque inspirée par la bataille de Paolo Uccello, non sans humour. Bronwyn Katz évoque le paysage industriel lyonnais et ses fractures sous-jacentes avec un champ de cactées métalliques séparées par des rideaux de pluie au maillage délicat.

Une toute autre atmosphère se dégage dès l’entrée dans le hall 2, plongé dans une douce pénombre mystérieuse qui atténue les marques du lieu. Minouk Lim nous accueille avec un ruisseau doré où flotte un costume traditionnel coréen, évocation de la mémoire de son pays, mais aussi de l’activité passée dans ce lieu de production. Bianca Bondi a investi un espace clos, cuisine ou laboratoire d’alchimiste, où elle transforme les énergies négatives en énergies positives, en présentant un ensemble de contenants emplis de potions chimiques colorées recouvertes d’une pellicule de sel cristallisé. Une mer de savon coloré et odorant de Nicolas Momein s’étale par vagues successives devant la vidéo d’Abraham Poincheval qui nous propose un voyage céleste sur la canopée des nuages, dans un paysage dépourvu de frontières. Passons devant les sculptures anthropomorphes d’Isabelle Andriessen infectées par des virus et transmutées en des formes de vie incontrôlables, pour découvrir le duo détonant et burlesque d’Ashley Hans Scheirl et Jakob Lena Knebl et son installation vidéo proposant une réflexion sur l’identité et les normes sociales dans un esprit de parodie. Hommage à Gustav Metzger, figure historique de cette biennale, inventeur de l’art « autodestructif », qui nous plonge dans une chorégraphie psychédélique de lumière et de couleurs sans cesse renouvelées, comme une métamorphose et un éternel renouvellement des états.

C’est dans le hall 3 que les artistes ont pris le parti de jouer avec les outils et les machines, les distordant dans des formes organiques. Mire Lee allonge ou suspend deux sculptures motorisées évoquant des corps mécaniques constitués de liquide visqueux dans des torsions sans fin. Thomas Feuerstein se réfère à la mythologie grecque avec le tourment éternel de Prométhée, en lente décomposition qui s’accompagne d’une régénérescence des cellules de foie produisant de l’alcool grâce à un dispositif impressionnant de machines, alambics et fioles. Marie Reinert restitue le portrait sonore du monde de l’entreprise, rare œuvre immatérielle dans ce théâtre abandonné par les hommes.

Dans le dernier hall, après un long voyage, le visiteur retrouve une installation de Petrit Halilaj illustrant sa réflexion sur les concepts de nation et d’identité culturelle multiethnique, avant de monter dans l’appartement aérien aménagé par Yona Lee après une analyse subtile des particularités spatiales et sociales. Un autre point de vue sur les œuvres environnantes dont la montgolfière de Taus Makhacheva qui évoque le premier vol de ballon à air chaud en 1784 à Lyon.

Pour le macLYON, les artistes ont été invités à réaliser des paysages mentaux et sensoriels, même si non dénués de sens politique, dans un rapport au geste et à la matière. Aguirre Schwarz, connu sous le pseudonyme de ZEVS, accueille le spectateur avec les logos des entreprises partenaires qui se liquéfient. Au premier étage, Renée Levi déploie son geste sur le sol et les murs jouant avec la perspective et l’architecture et proposant un environnement coloré à échelle humaine dans une réflexion sur l’histoire de la peinture. Dans un dialogue intergénérationnel, la jeune artiste cubaine Jenny Feal traduit, avec une installation hautement poétique et politique, son expérience de l’histoire de son pays où privé et public s’entrecroisent : une fresque murale de terre, évoquant les traces laissées par les prisonniers, laisse s’épanouir la fleur nationale mariposa, un carnet de poèmes en chute retenue, une figure manquante esquissée par un dessin comblant le vide entre deux chaises cannelées. Gaelle Choisne prolonge le parcours avec un nouveau chapitre de « Temple of love », suite de micro-histoires imprégnées d’exotisme, d’érotisme et de politique. Les deux étages supérieurs sont consacrés aux « Fantasmes mammifères » de Dewar et Gicquel avec une suite de bas-reliefs en chêne, aux corps humains démembrés et un mobilier où figures humaines et espèces animales s’enchevêtrent.

Cette offre artistique généreuse nous montre la diversité des sensibilités et formes d’expressions à l’image de notre monde et les commissaires proposent une traversée d’un paysage aux multiples chemins possibles où les artistes tentent d’apporter leur réponse à la question « comment continuer à vivre dans le monde actuel ? »

 

Sylvie Fontaine


Infos :

15e Biennale d’art contemporain de Lyon

Là où les eaux se mêlent

Jusqu’au 5 janvier 2020