100 %, sorties d’écoles

Par Leia Fouquet4 mai 2021In Articles, 2021

 

Demain est la question, ce concept distinctif de l’artiste Rirkrit Tiravanija, dont l’inscription récurrente est devenue une sorte d’adage, parcourt comme un leitmotiv l’exposition de plus de 140 artistes issus de huit écoles d’art différentes qui y apportent certaines réponses.

 

Il va sans dire qu’au vu du nombre d’artistes présentés, le résultat de l’exposition est évidemment éclectique et contrasté.  Le fait que le parcours débute à l’extérieur de la Grande Halle de la Villette, s’y déploie, avant de se terminer dans les « Folies » du parc, renforce une certaine sensation de dispersion. Et pourtant ces raisons font de 100% une exposition réussie et osée, dont l’expérience ne peut se résumer à la lecture de cet article[1].

La commissaire Inès Geoffroy a relevé le difficile pari d’offrir, à parts égales, la visibilité nécessaire à chacun.

À l’appui, deux grandes tendances scénographiques. D’une part, à l’intérieur, un jeu de cimaises colorées permet de regrouper différents artistes dans des tendances générales (rapports à la mode, au vivant, etc.) ou bien, au contraire, d’isoler certaines créations. Ainsi des saynètes d’intimités grotesques de Vincent Volkart trouvent leur place dans un angle pourpre aux allures théâtrales de peep-show. D’autre part, les diplômés de l’ENSCI nous présentent leurs créations sur un immense îlot en carton. Outre le fait que cet élément scénographique soit un petit morceau de bravoure en termes de construction, il est un parti pris éco-responsable dont peu d’expositions peuvent se targuer.  Au-delà de cette signalétique volontairement pauvre, entendons le ton global de l’exposition : repenser l’industrie créative.

À cet effet, l’adoption de matériaux recyclables est l’une des solutions d’avenir proposée. Que cela passe par Pulpe, l’Application mobile d’éducation sexuelle d’Hortense Tollu, ou la réunion en véritable agence de production d’une vingtaine d’artistes sous l’égide du Label Famille, nous découvrons comment chaque créateurs repense sa pratique et sa fonction dans notre société compétitive acquise au numérique.

 À ces exemples d’organisation collective et d’apprentissages alternatifs, nous devons en ajouter un, plus idéaliste et proprement visuel. Dans la Grande Halle, nombre d’œuvres vidéos et photographiques utilisent archives ou références à l’histoire de l’art[2], comprises moins comme des révérences que comme l’adoption de méthodes critiques déjà développées par les avant-gardes : appropriations, montages, détournements. L’installation Topographies développée par Prune Phi lors d’une résidence à l’Institut de la Vision, incarne bien cette recherche d’une polyphonie des discours à travers la confrontation d’images a priori antithétiques – portrait d’un œil coupé à la Buñuel, dessins pseudo-scientifiques, screenshot d’une microphotographie de rétine. Ensemble, ces reproductions centrées sur la vision, issues de milieux distincts, réfléchissent une même utilisation heuristique de l’image. Dès lors, il semble qu’emprunter une technique artistique du passé, en l’occurrence le collage surréaliste, puisse éclairer sur une pratique médicale d’aujourd’hui.

Car c’est bien d’un renouvellement du quotidien, et même d’une révolution proche, dont il est question dans la plupart des œuvres présentées. Tous les moyens sont donc bons pour l’anticiper : archéologie et réemploi de procédés d’extrusion d’argile par Pierre Murot, prospections sur les tissus intelligents de plusieurs couturières, création d’un filtre Instagram ad hoc.

En somme, il revient aux artistes de penser demain. Plus qu’une idée utopique, c’est là l’issue envisagée par Infinite Creativity for a Finite World, une exposition associée au parcours de 100%. Cette dernière, curatée par Anna Bernagozzi, enseignante à l’ENSAD, retrace quatre années de recherches européennes en innovation sociale par les objets[3]. En réunissant élèves, designers et artistes autour de l’idée d’« expoAction », le projet renseigne sur des exemples concrets d’activisme :  échantillons de teintures naturelles de Judith Zentain, plateforme collaborative de « polyculture des matériaux et des connaissances » d’Eugenia Morpurgo ou encore l’invitation de Florence Doléac à la « création participative d’une communauté internationale de rêveurs » à travers Maxidreams, une installation de lits en pleine nature un peu partout dans le monde.

Le hasard – ou plutôt la preuve de l’actualité de ces questionnements autour des processus de production – fait que sa scénographie a elle aussi été réalisée en carton. L’anecdote vaut enfin en ce qu’elle amène à la conclusion : si la forme suit toujours la fonction, elle  a dorénavant l’ambition d’un changement écologique et social.

[1] n.b. Le statut « professionnel de l’art » a en réalité une acception assez large pour que tout étudiant·e·s en art, histoire de l’art, commissaire d’exposition ou critique indépendant·e puisse s’inscrire.

2 La neutralité de Thibault Cuisset et la spontanéité empathique de Wolfgang Tillmans sont à l’honneur dans les travaux photographiques de Vivient Ayroles et Louise Desnos.

3 Anna Bernagozzi fait partie, en qualité d’experte, d’un projet européen intitulé 4Cs: From Conflict to Conviviality Through Creativity and Culture.


Informations pratiques :

Grande Halle de la Villette,

211 avenue Jean Jaurès, Paris 19e

À découvrir jusqu’au 20 juin 2021